Le Focus : L’année 2022 a été éprouvante et riche en événements dans notre pays. Le Mali à subi des sanctions diverses et l’inflation est toujours galopante et a contribué à la réduction du pouvoir d’achat du citoyen. Quelles explications donnez-vous à cette situation ?
Modibo Mao MAKALOU : Rappelons que c’est le 9 janvier 2022 que l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et la Communauté. Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) avaient infligées des sanctions diplomatiques, économiques, financières et commerciales à l’encontre des Autorités de la Transition du Mali pour non-accord sur les échéances pouvant mener aux élections générales au Mali. Par ailleurs, la Cour de Justice de l’UEMOA avait ordonné le 24 mars 2022 la suspension de l’exécution du gel des avoirs de l‘Etat du Mali et des entreprises publiques au sein de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), et des banques centrales et commerciales de la CEDEAO. Toutefois cette ordonnance n’a pas été exécutée.
Suite à des sanctions économiques infligées par la Communauté Économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et par l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) d’une durée d’environ 6 mois, le Mali a amorcé une reprise économique avec une croissance économique de 3,2 % en 2021 après une contraction de 1,2 % en 2020 et elle a atteint 3,7% en 2022 sur une prévision initiale de 5,2%. La hausse des prix qui était de 4,1 % en 2021 contre 0,5 % en 2020 s’est accentuée en 2022 pour atteindre 8% suite à la résurgence de la Covid-19 et la guerre en Ukraine en février 2022. Elle est imputable au prix élevé des produits alimentaires, et des transports suite à la flambée des coûts des carburants et des intrants agricoles et à la baisse de 10,5 % de la production nationale de céréales.
Le Focus : Les tensions diplomatiques entre notre pays et certains pays comme la France, la Côte d’Ivoire et certaines organisations internationales a-t-elle eu des conséquences sur l’économie malienne ?
La France est un important partenaire économique du Mali et le 2ème investisseur privé étranger. Environ une centaine d’entreprises françaises employant plus de 5000 personnes opèrent au Mali dans le transport aérien, l’énergie, l’industrie, la logistique et le transit, les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), la distribution des carburants, l’agroalimentaire, le bâtiment et les travaux publics (BTP), les adductions d’eau, les medias, la vente de véhicules, le ciment et les matériaux de construction….. En 2021, les échanges commerciaux entre le Mali et la France étaient estimés à plus de 300 milliards FCFA.
Selon la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), la part des pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) dans les importations totales se chiffrait à 43,4 % soit un montant de 1.275,7 milliards de F CFA. La Côte d’Ivoire est le 2ème fournisseur du Mali dans l’UEMOA avec des parts dans les importations du Mali de 35,4% en 2020, contre 45,5% pour le Sénégal. Le Mali est aussi dépendant du port Abidjan pour son commerce international (importations d’intrants agricoles et de marchandises et exportations de coton).
Les importations en provenance des pays de l’UEMOA restent dominées par les produits pétroliers pour in montant total estimé à 665,8 milliards de F CFA en 2020 et la Côte d’Ivoire représente respectivement 36,7 % des importations de produits pétroliers du Mali au sein de l’UEMOA et 5,9% des importations des matériaux de constructions et des produits alimentaires en 2020. Sur les 6 premiers mois de 2022, les importations en provenance de la Côte d’Ivoire étaient estimées à 127,61 milliards FCFA.
La suspension des décaissements de la Banque Mondiale qui est le 1er bailleur de fonds multilatéral avec 29 projets nationaux et régionaux comptabilisant des investissements de l’ordre de 1,8 milliards $ (910 milliards F CFA) dans les infrastructures rurales, les infrastructures routières, l’éducation, la santé, l’eau potable, la réforme de l‘État, l’aide budgétaire, la décentralisation, le développement urbain, la culture, la société civile, l’environnement, l’appui au secteur privé, et la sécurité alimentaire aura des conséquences néfastes sur les projets et programmes de développements de même que les investissements publics et privés au Mali
Le Focus : Malgré les efforts de l’État malien pour juguler l’inflation et améliorer le pouvoir d’achat des Maliens la hausse des prix des produits de grande consommation perdure. Comment peut-on expliquer cela ?
MMM : Actuellement, le pouvoir d’achat est en train de s’éffriter et c’est partout dans le monde dans les pays les plus riches tout comme dans les pays aux revenus les plus faibles. Les prix des produits alimentaires, des produits énergétiques, des transports et des intrants agricoles ont substantiellement augmenté suite à la hausse du prix du baril de pétrole et de l’appréciation du dollar face à l’euro et au franc CFA .
Notons que le carburant est un facteur déterminant du coût de la vie car le prix du transport affecte tous les produits y compris ceux de l’énergie, des transports et de l’alimentation. Comme nous ne sommes pas producteurs de ressources énergétiques cela va représenter un gros défi pour l’Etat déjà qu’il abandonne une partie de ses recettes pour que le prix à la pompe soit abordable pour les citoyens.
Les subventions engendrent des pertes de recettes fiscales (132 milliards FCFA pour le carburant en 2022). Il va falloir trouver des solutions pour améliorer le pouvoir d’achat, c’est-à-dire en subventionnant davantage et en diminuant certains prix des produits de première nécessité et en incitant aussi les opérateurs économiques à ne pas faire de surenchères au niveau de la disponibilité des produits subventionnés et de leurs prix. Ces hausses impactent de façon disproportionnée les ménages les plus pauvres qui doivent dépenser une plus grande part de leurs revenus à l’alimentation, par rapport aux ménages plus aisés. L’élaboration d’un plan de lutte contre l’inflation par le Gouvernement du Mali est une impérieuse nécessité..
Quelles sont les mesures urgentes à court et à moyen termes à prendre par les autorités de la transition pour une relance économie.
MMM : Pour relancer son économie, le Mali devrait essentiellement utiliser la politique budgétaire ou fiscale qui constitue le meilleur instrument de politique économique conjoncturelle. Il s’agira essentiellement à travers les dépenses publiques de cibler les secteurs clés et les services de base essentiels , comme l’agriculture, l’éducation, la santé, la protection sociale, l’eau potable, l’industrie, les logements, le développement urbain et l’assainissement, de même que des infrastructures de base de qualité qui ont une forte incidence sur la réduction des inégalités, surtout parmi les couches les plus vulnérables, notamment le secteur informel, les femmes, les filles et les jeunes mais aussi d’augmenter, de diversifier et de transformer la production nationale,de .stimuler la production d’aliments et d’engrais, d’améliorer les systèmes alimentaires, de soutenir les ménages les plus vulnérables et les producteurs vulnérables.pour renforcer la sécurité alimentaire et nutritionnelle
Quelles sont les perspectives économiques pour le Mali en 2023 ?
MMM : La croissance économique devrait rebondir à 5,1% en 2023, tirée par la reprise de la production de coton (25,5 %), de céréales (5,5 %) et de l’or (5,6 %), et des prix mondiaux favorables selon les données officielles. Une
forte reprise du secteur industriel (6,1 % en 2023, contre 2,3 % en 2022) et des services (5,5 %) et une augmentation de la demande intérieure (5,5 %) soutiendront également une bonne performance économique en 2023. L’inflation devrait baisser à 3,1 % en 2023, si les prévisions d’une bonne récolte céréalière se réalisent de même qu’une baisse des prix des produits pétroliers parallèlement à la hausse de la production de céréales, et du taux de change du franc CFA par rapport à l’euro. Selon la Banque Africaine de Développement (BAD), la consolidation budgétaire permettra une baisse du déficit à 4,4 % du PIB en 2022 et 3,5 % en 2023, grâce aux réformes fiscales et à la rationalisation des dépenses budgetaires. La dette publique devrait augmenter légèrement en 2022 et 2023 pour atteindre 52,9 % et 53,0 % du PIB. Cependant, à partir de 2023, la dette intérieure devrait dépasser la dette extérieure, ce qui suscite des inquiétudes quant à la viabilité de la dette publique et à un effet d’éviction potentiel sur l’accès des ménages et des entreprises au crédit.