Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont annoncé, dimanche 28 janvier, leur «retrait sans délai» de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ Ouest (Cedeao). Le choix de ces pays, regroupés au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), suscite quelques inquiétudes dans le monde des affaires où certains acteurs craignent la fin des facilités qu’offrent notre appartenance à cet ensemble sous-régional. Pour les pessimistes, ce retrait suppose surtout des implications sur les exemptions de visa et les exonérations de taxes.
Si l’éventualité d’un durcissement des règles imposent nos rapports avec la Cedeao n’est pas à négliger, cette décision ne saurait, cependant, conduire aux malheurs prédits par les Cassandres. Au contraire, selon le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga, «ce que nous perdons en acceptant cette vassalisation, est mille fois pire que ce que nous allons assumer en restant nous-mêmes». Mieux, les trois pays «restent membres de l’Uemoa pour le moment, donc bénéficient de la liberté de circulation» au sein de tous les pays de cette Union.
Des propositions que le chef du gouvernement a tenu, hier au Centre international de conférences de Bamako (CICB), face aux responsables et membres des organisations professionnelles et faîtières du secteur privé. Au présidium, le Premier ministre avait à ses côtés le ministre de l’Industrie et du Commerce, Moussa Alassane Diallo, les présidents du Conseil national du patronat du Mali (CNPM), Mossadeck Bally et de la Chambre de commerce et d’industrie du Mali. Mali (Ccim), Madiou Simpara. Plusieurs membres du gouvernement ont également pris part à la rencontre.
Selon le chef du gouvernement, cette Transition est celle de la rupture et dans tous les domaines. Reste que les hommes sont naturellement réfractaires au changement et il est aussi connu que les meilleures idées ne sont pas forcément partagées par tout le monde au début. «L’hésitation, la peur, trop de questions amènent toujours à rester sur place et faire le jeu de l’adversaire», a fait remarquer le Dr Choguel Kokalla Maïga, pour ainsi soutenir la décision des chefs d’État des pays de l’ AES de se retirer de la Cedeao. Une organisation qui s’est éloignée des intéressés de ses fondateurs et qui a «brillé par son manque d’empathie, de solidarité et de vision stratégique face aux États de l’AES».
COMPLICITÉ POSITIVE- Sans ambages, le chef du gouvernement a déclaré que la Cedeao est progressivement devenue une menace, car son dessein lugubre consistait clairement à mettre à genoux nos pays, à provoquer des changements politiques pour satisfaire les intérêts des puissances étrangères. « Elle a très peu écouté nos États, elle s’est mise à donner des injonctions.
Et son plan, c’était de déstabiliser le Niger, avant de passer au Burkina, puis au Mali», a-t-il révélé. Et de résumé : l’accumulation d’actes inamiques a rendu inévitable le retrait de nos États qui subissent au quotidien l’injustice, l’acharnement et l’austérité d’une organisation à l’avènement de laquelle ils ont contribué.
Le Premier ministre a assuré que le gouvernement prend la pleine mesure de la situation des préoccupations de nos compatriotes, en particulier les opérateurs économiques face à cette décision. Le président de la Transition a déjà mis en place un comité de pilotage de haut niveau pour exploiter ce retrait comme une opportunité de développement, de croissance économique. Objectif difficile à atteindre sans une complicité positive avec le monde des affaires.
«C’est pour cela que j’ai décidé dans le lot des forces vives de la nation qu’il faut rencontrer et leur expliquer ce qui se passe, il fallait commencer par vous. Parce que les questions qui sont posées aujourd’hui sont d’ordre économique et financier», a déclaré Choguel Kokalla Maïga, comptant sur «l’ingéniosité» des acteurs économiques pour réussir ce défi. Notre réussite dépend en grande partie de vous, a indiqué le chef du gouvernement qui est formel : «Économiquement, ce que nous perdons en acceptant cette vassalisation est mille fois pire que ce que nous allons assumer, en restant nous-mêmes».
Aussi, la sortie de la Cedeao permettra-t-elle au Mali de définir des politiques commerciales optimales et plus avantageuses, d’avoir la liberté de prendre certaines décisions politiques et économiques. Au niveau de l’AES, il faudra identifier et alléger les barrières tarifaires, faciliter les transactions économiques et commerciales pour les opérations d’exportation et d’importation.
CONJUGUER LES EFFORTS- Le Premier ministre a également évoqué la fin de l’Accord pour la paix et la réconciliation issue du processus d’Alger. Une décision responsable, qui découle de plusieurs constats dont la mauvaise foi des mouvements signataires de l’accord qui s’en sont écartés et éloignés depuis fort longtemps. Cette décision est aussi la conséquence logique du comportement de la République sœur d’Algérie, chef de file de la médiation internationale qui a sapé sa crédibilité et son autorité de médiateur impartial dans la gestion d’une série d’actes.
Choguel Kokalla Maïga a longuement évoqué les agissements familiaux du voisin algérien, qui ont pris la forme, ces dernières semaines, d’ingérences intolérables dans les affaires internes du Mali. Cependant, at-il tenu à préciser, «nous ne sommes pas dans une guerre contre le gouvernement algérien ni contre le peuple algérien».
Le ministre Moussa Alassane Diallo s’est dit convaincu que le Mali va transformer cette sortie de la Cedeao en un point de compétitivité et de rentabilité pour notre économie. À condition que «nous ayons confiance en nos forces». «Aucun pays côtier ne peut fermer ses ports au Mali, parce que quand on investit dans les ports on s’attend aussi aux retours sur investissements. Et le Mali est le principal retour sur investissements de ces pays-là», a soutenu le ministre Diallo, assurant que le gouvernement a déjà son plan d’action pour aborder cette phase importante de notre histoire. Et que le secteur privé est au cœur de ce dispositif. «D’ici le 31 décembre 2026, le Malien dira pourquoi nous n’avons pas quitté plus tôt la Cedeao», a dit Moussa Alassane Diallo.
Ces explications éclairent les lanternes et rassurent le secteur privé dont l’une des figures, le président de la Chambre de commerce et d’industrie du Mali (Ccim), a appelé les opérateurs économiques à s’unir. «Nous sommes tous des Maliens et, à ce titre, nous devons travailler ensemble pour faire avancer le Mali», a exhorté Madiou Simpara. Et d’informer que sa structure verra, avec les services concernés comme les Douanes et les Affaires économiques, comment conjuguer les efforts pour relever les difficultés qui seront induites par ce retrait de la Cedeao.
Du côté du Conseil national du patronat (CNPM), l’heure est au recensement des préoccupations qui seront, ensuite, analysées par les experts. En attendant, le patronat prend acte de la décision prise par les autorités et son président, Moussadeck Bally, présume que les «décideurs politiques ont bien analysé les inconvénients et avantages de leur choix».
Issa DEMBÉLÉ