Au Sénégal beaucoup de cas de viol sont étouffés. Des femmes ou filles violées n’ont pas toujours le courage d’en parler par peur d’être jugées. Ce repli sur elles-mêmes fait que chaque jour, elles vivent avec la peur au ventre.
Dans ce reportage, des victimes fatiguées de garder le silence se confessent avec beaucoup de difficultés.
Ndèye Fatou est une enseignante dans une école privée de Dakar. Lorsqu’elle avait 11 ans, elle partait en vacances chez sa tante paternelle. Celle-ci avait deux fils de 15 et 17 ans qui abusaient d’elle à chaque fois que leur mère allait au marché pour vendre ses produits de beauté. « Ils me disaient de venir nettoyer leur chambre et quand j’entrais, ils m’installaient sur le lit et commençaient à m’embrasser. Le plus âgé se chargeait de faire des attouchements sexuels. J’étais jeune, je ne comprenais rien, pour moi c’était normal », se rappelle la jeune dame âgée aujourd’hui de 28 ans. Les cousins de Ndèye ne se sont pas limités à des attouchements, le garçon de 17 ans est allé plus loin. « Un jour, alors que j’étais seule à la maison, je pensais qu’ils étaient au football, c’est là que l’aîné est entré en furie dans la maison et m’a tirée jusqu’à sa chambre. J’ai eu peur quand il a commencé à se déshabiller et je me suis mise à pleurer », raconte la jeune maman qui malgré son jeune âge, venait de comprendre que sa vie allait prendre une autre tournure. « Il m’a forcée et m’a brutalement violée, c’était la descente aux enfers. Après des minutes de souffrance, il s’est enfui et m’a laissée à mon sort », poursuit la victime.
Après ce moment tragique, la tante de Ndèye Fatou qui fut mise au courant menaça de la tuer si elle raconte ce qui lui était arrivée. Par la suite, elle l’a congédiée de la maison sous prétexte qu’elle partait en voyage. « Je n’en ai jamais parlé à personne, mais j’ai souffert. Ils m’ont pris mon innocence et m’ont poussée à vivre dans la peur et la haine. Pendant des années, je ne me suis jamais approchée des hommes, cet épisode de ma vie a détérioré mes relations avec mon père et mon frère, je me suis éloignée d’eux », confie cette femme qui, au bout d’un moment, a retrouvé goût à la vie grâce à son mari. « Je ne lui ai pas dit que j’ai été violée car c’est ma vie et je ne juge pas utile de ressasser le passé, en plus je ne veux pas qu’il me regarde différemment. Tout ce que je sais, c’est que je ne laisserais aucun homme approcher ma fille, même pas mon mari », dit-elle.
“Il me violait tous les jours en l’absence de ma mère”
Issue d’une famille divorcée, Maimouna n’a pas eu une enfance facile. « Ma mère m’a toujours considérée comme son porte malheur, ce que je n’ai jamais compris. C’est après qu’on m’a expliqué que mon père voulait avoir un fils mais à ma naissance, il en a voulu à ma mère, sa colère s’est décuplée quand il a eu des problèmes dans son lieu de travail. Il disait que je n’avais apporté que des malheurs dans sa vie et a fini par la répudier », explique-t-elle.
Après cet épisode fâcheux, la mère de Maimouna, gonflée d’amertume et de frustration, la frappait à chaque occasion. Des années plus tard, la mère se remaria avec un autre homme qui s’avèrera être le bourreau de la jeune femme. «Il me violait tous les jours en l’absence de ma mère », confie-t-elle. Le beau-père de la victime la menaçait elle aussi mais, elle finit par raconter les faits à sa mère. A sa grande surprise, sa mère fera de cette affaire un scandale. « Elle m’a accusée de vouloir détruire son mariage, m’a traitée de tous les noms avant de me mettre hors de chez elle », se rappelle douloureusement la quadragénaire qui a fini par être hébergée par une ancienne amie de sa mère qui avait pitié d’elle.
Mais Maïmouna finit par tomber amoureuse du fils de sa mère adoptive. Ce dernier décida de porter plainte contre le beau-père, mais sa mère s’y opposera et leur demanda de laisser le karma s’occuper du couple. « Mon mari m’a épaulée et m’a mise en rapport avec un psychologue qui me suivait. Cela m’a beaucoup aidée », confie-t-elle. Aujourd’hui, Maïmouna qui a fini de vaincre ses démons estime qu’aucune fille violée ne doit garder le silence ou se sentir honteuse : «C’est aux violeurs d’avoir honte, pas à nous qui sommes juste victimes. Un homme qui viole est un faible qui ne s’assume pas, mais heureusement qu’il existe des hommes bien.»
Si Maïmouna n’est pas allée jusqu’à dénoncer son viol, ce n’est pas le cas de Adama Fall, dont la fille a été abusée par son propre frère. Il y a trois ans, elle commençait à remarquer des changements chez sa fille de 15 ans, surtout sur son comportement.
“Toute ma famille m’en a voulue car ils voulaient étouffer l’affaire”
Après plusieurs tentatives, sa fille finit par lui avouer son viol. «Elle m’a raconté que mon frère a abusé deux fois d’elle dans notre propre maison. Après ses aveux, j’ai atterri à l’hôpital à cause du choc », confie Mme Fall. Deux jours après, elle est allée porter plainte contre son frère qui sera mis aux arrêts. « Toute ma famille m’en a voulue car ils voulaient étouffer l’affaire. J’ai tenu bon car si mon propre frère n’a pas hésité à s’en prendre à ma fille, je ne dois pas avoir honte de le dénoncer», argue la dame.
Qu’il soit dénoncé ou pas, le viol restera toujours une hantise pour les victimes. La plupart d’entre elles gardent les séquelles de ce traumatisme. Le psychologue Khalifa Diagne décrit l’état d’esprit des victimes. « La victime de viol vit souvent un traumatisme avec des manifestations intérieures et extérieures (stress post traumatique marqué par des flash-back, des troubles du sommeil, une attitude d’évitement envers les hommes, mélancolie etc). Ce qui fait que la victime a besoin de suivi et d’accompagnement psychologique ».
Toutefois, selon le psychologue, le manque de suivi ou d’accompagnement de la victime peut causer un traumatisme chronique avec comme conséquences des troubles de la personnalité et de la sexualité.