Ces dernières semaines, les dirigeants de Kiev et de Moscou ont affirmé que les accords de Minsk étaient pour eux maintenant lettre morte.
L’animosité entre le président russe Vladimir Poutine et le président ukrainien Volodymyr Zelensky est forte. Un accord sur quoi que ce soit – qui serait un point de départ pour des pourparlers – est difficile à trouver. Mais pour la première fois depuis plusieurs mois cependant, les deux dirigeants se sont mis d’accord sur quelque chose. Malheureusement, cela les éloigne encore plus des pourparlers qu’ils ne l’étaient jusqu’à maintenant.
Ils semblent tous deux croire que les accords de Minsk II de 2015, dont beaucoup pensaient qu’ils permettraient d’avancer vers la paix dans la région, sont morts.
À un moment donné, cette horrible guerre prendra fin. Et elle devra se terminer par des pourparlers. Ces derniers devront, à un moment ou à un autre, régler la question des terres orientales prises dans une lutte acharnée qui dure depuis des décennies. Zelensky a déclaré qu’une condition préalable aux pourparlers était « la restauration de l’intégrité territoriale [de l’Ukraine] », c’est-à-dire le Donbass, Kherson, Zaporijia et même la Crimée. La Russie a déclaré que les négociations ne pouvaient avoir lieu que sur la base des réalités géopolitiques existantes et maintient que tout règlement négocié doit respecter l’annexion de ces mêmes régions par la Russie. C’est le principal obstacle à un règlement. Un obstacle de taille.
Cet obstacle a été consolidé et renforcé, et non dissipé ou atténué, par un alignement récent des déclarations des deux dirigeants.
Le 15 novembre, s’adressant au sommet du G20 à Bali par le biais d’une vidéo, Zelensky a rejeté tout retour à l’accord de Minsk. « Nous ne permettrons pas à la Russie d’attendre, de renforcer ses forces, puis de commencer une nouvelle série de terreurs et de déstabilisation mondiale. Il n’y aura pas de Minsk 3, que la Russie violera immédiatement après l’accord », a-t-il insisté.
Les accords de Minsk de 2014 et 2015 ont fourni la meilleure solution diplomatique à la crise. Négociés par la France et l’Allemagne, accepté par l’Ukraine et la Russie, et acceptés par les États-Unis et l’ONU, ces accords visaient à rendre pacifiquement le Donbass à l’Ukraine tout en lui accordant une autonomie complète. Minsk II promettait également l’autonomie du Donbas au sein de l’Ukraine. La perspective de la neutralité et la question de l’adhésion à l’OTAN devaient venir plus tard.
L’ancien ambassadeur des États-Unis en Union soviétique, Jack Matlock, a récemment déclaré que « la guerre aurait pu être évitée – elle l’aurait probablement été – si l’Ukraine avait été disposée à respecter l’accord de Minsk, à reconnaître le Donbass comme une entité autonome au sein de l’Ukraine, à éviter les conseillers militaires de l’OTAN et à s’engager à ne pas entrer dans l’OTAN. »
Mais les propos de Zelensky à Bali, bien que diplomatiquement bien choisis pour son auditoire, ne reflétaient pas fidèlement l’Histoire. Ce n’est pas la Russie qui a utilisé le temps prévu par l’accord pour renforcer ses forces avant de violer l’accord. C’est l’Ukraine.
En 2019, Zelensky a été élu en grande partie parce que son programme visant à faire la paix avec la Russie et à signer l’accord de Minsk II lui a valu le vote russophone dans le sud et l’est. Mais pour tenir sa promesse, Zelensky devait avoir le soutien des États-Unis, ce qu’il n’a pas obtenu. Abandonné et sous pression, Zelensky a refusé d’appliquer l’accord. Les États-Unis n’ont pas par la suite réussi à le ramener sur la voie de la diplomatie.
Richard Sakwa, professeur de politique russe et européenne à l’université du Kent, a déclaré à Responsible Statecraft que « pour ce qui est de Minsk, ni les États-Unis ni l’UE n’ont exercé de pression sérieuse sur Kiev pour qu’il remplisse sa part de l’accord. » Anatol Lieven, directeur du programme Eurasie au Quincy Institute for Responsible Statecraft, partage cet avis. Bien que les États-Unis aient officiellement approuvé l’accord de Minsk, Lieven a déclaré à Responsible Statecraft qu’ils « n’ont rien fait pour pousser l’Ukraine à le mettre réellement en œuvre. »
Zelensky n’est pas le premier président ukrainien à échouer dans la mise en œuvre de Minsk. En fait, le président ukrainien Piotr Porochenko l’a peut-être négocié sans avoir l’intention de l’appliquer un jour. En mai 2022, Porochenko a déclaré au Financial Times que l’Ukraine « n’avait pas du tout de forces armées » et que la « grande réussite diplomatique » des accords de Minsk était que « nous avons tenu la Russie loin de nos frontières – pas de nos frontières, mais loin d’une guerre totale. » En d’autres termes, l’accord a permis à l’Ukraine de gagner du temps pour construire son armée.
Porochenko a déclaré aux médias ukrainiens et à d’autres organes de presse que « nous avions atteint tout ce que nous voulions. Notre objectif était, tout d’abord, de mettre fin à la menace, ou du moins de retarder la guerre – d’obtenir huit ans pour rétablir la croissance économique et créer des forces armées puissantes. »
Certains ont rétorqué que la Russie est également responsable de l’échec de l’accord, car elle s’est dérobée en prétendant être un facilitateur de l’accord plutôt qu’une partie à un accord qui est fondamentalement entre l’Ukraine et les républiques populaires séparatistes de Louhansk et de Donetsk. Notamment, la Russie aurait également dû retirer toutes ses forces militaires du Donbas si l’Ukraine avait adopté une loi garantissant l’autonomie de la région. Étant donné que l’Ukraine n’a jamais adopté une telle loi, nous ne saurons jamais si la Russie aurait tenu sa promesse.
Qui que ce soit qui ait tué les accords de Minsk, Poutine est d’accord avec Zelensky pour dire qu’ils sont morts. Dix jours après que Zelensky a déclaré qu’ils ne pouvaient pas être relancés, Poutine a déclaré qu’accepter les accords de Minsk était une erreur qu’il ne répéterait pas, suggérant qu’il n’y aurait pas de Minsk III.
Dmitry Trenin, professeur à l’École supérieure d’économie de Moscou, souligne que lorsque la Russie a annexé la Crimée en 2014, Poutine agissait « sur un mandat du parlement russe d’utiliser la force militaire « en Ukraine » et pas seulement en Crimée. » Mais Poutine a refusé d’annexer les régions de Donetsk et Lougansk et en a accepté, à la place, leur autonomie au sein de l’Ukraine dans le cadre de l’accord de Minsk.
Poutine a été sévèrement critiqué par des tenants de la ligne dure en Russie pour ne pas être allé au-delà de l’annexion de la Crimée. Lieven a déclaré à Responsible Statecraft que les partisans de la ligne dure reprochent à Poutine d’avoir préféré croire à la promesse de l’Allemagne et de la France de garantir l’application de l’accord de Minsk.
Dans sa récente déclaration, Poutine a dit qu’il avait eu tort. « Aujourd’hui, il est devenu évident que cette réunification [de Lougansk et Donetsk avec la Russie] aurait dû avoir lieu plus tôt. »
Mais en 2014, Poutine a déclaré qu’il « croyait que nous parviendrions à nous entendre, et que Lougansk et Donetsk pourraient en quelque sorte être réunifiés avec l’Ukraine en vertu des accords – les accords de Minsk.»
Le fait que les espoirs de Poutine de voir Minsk II aboutir se soient révélés vains ne justifie en rien sa décision ultérieure de procéder à une invasion brutale de l’Ukraine.
Mais Poutine et Zelensky semblent être arrivés à la même conclusion pour des raisons très différentes. Zelensky n’a pas confiance en Poutine, convaincu que ce dernier profitera du répit offert par l’accord de Minsk III pour renforcer ses forces avant de le violer et de terroriser l’Ukraine avec des forces renouvelée, Poutine n’a pas confiance en Zelensky qui négociera un accord sur les territoires de l’Est dans le seul but de calmer les conflits compliqués. Tous deux, quasiment simultanément, ont annoncé que le principal espoir d’une solution diplomatique à la crise était mort.
En fin de compte donc, la seule chose sur laquelle les deux dirigeants sont d’accord est la suivante : on ne voit absolument pas à quoi pourrait ressembler la voie vers un règlement négocié.