Selon l’ancien Premier ministre, Ahmed Mohamed Ag Hamani, l’échec de l’Accord pour la paix issu du processus d’Alger se résume essentiellement à «la méfiance» qui n’a jamais été résorbée entre les signataires, la «dimension internationale» imposée à la crise, comme s’il s’agissait d’un conflit entre deux Etats ; l’absence de caution politique nationale, car l’Accord n’a jamais été soumis à l’approbation de l’Assemblée Nationale qui détient cependant la souveraineté du peuple ; la non prise en compte effective de la société civile, dont la présence aux négociations d’Alger n’a été que superficielle. Sans compter la duplicité de la Médiation internationale.
«La paix est-elle encore possible au Mali ?» ! Tel était le thème d’une conférence-débat animée le 28 octobre 2023 par l’ancien Premier ministre Ahmed Mohamed Ag Hamani à l’occasion du premier anniversaire de la dédicace de son livre, «Ahmed Mohamed Ag Hamani, Une Vie pour le Mali». Cette interrogation se justifie pleinement dans le contexte actuel. Et l’éminence grive a presque fait la genèse des crises majeures (coups d’Etat, rebellions, rivalités politique, conflits communautaires, sécheresse…) auxquels notre pays a du faire face de l’indépendance à nos jours et dont la mauvaise gestion justifie l’impasse actuelle dans laquelle il se trouve depuis plus d’une décennie. Il s’est aussi penché sur les raisons profondes de l’échec de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali (APRM).
«Aujourd’hui, ne nous voilons pas la face, nombreux sont ceux qui n’ont pas intérêt à ce qu’une paix durable s’installe au Mali pour des motivations diverses» ! C’est la vérité assenée par l’ancien Premier ministre Ahmed Mohamed Ag Hamani lors d’une conférénce-débat dont il a été le principal animateur le 28 octobre 2023. «Or, malheureusement, c’est un euphémisme que de dire actuellement que la situation sociopolitique du Mali est de plus en plus volatile», a-t-il rappelé dans sa communication essentiellement consacrée aux obstacles à la paix et à la stabilité de notre pays, de l’indépendance à nos jours. Selon le conférencier, cet accord représente, à juste titre, un cadre formel et cohérent pour relever les défis de la crise qui secoue le Mali depuis plusieurs décennies. Mais, hélas, il est resté toujours à la traîne à cause de nombreux facteurs, dont le non respect des engagements souscrits dans les accords précédents.
Bien qu’il ait été rationnellement bâti sur quatre piliers prenant en compte toutes les dimensions de la crise, il n’a pas conduit aux objectifs recherchés pour des raisons à la fois endogènes et exogènes suffisamment analysées dans les différents rapports que la Coalition citoyenne de la société civile pour la paix, l’unité et la réconciliation nationale au Mali (CCSC-PURN) édite chaque année depuis sa création en 2017. Des analyses souvent partagées avec des associations et des organisations s’intéressant ou impliquées dans la crise malienne.
L’ancien Premier ministre, Ahmed Mohamed Ag Hamani a ainsi analysé les raisons de l’échec de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali (APRM), issu du processus d’Alger. Un échec qu’il a lié à «la méfiance» qui n’a jamais été résorbée entre les signataires, la «dimension internationale» imposée à la crise, comme s’il s’agissait d’un conflit entre deux Etats ; l’absence de caution politique nationale, car l’APRM n’a jamais été soumis à l’approbation de l’Assemblée Nationale qui détient cependant la souveraineté du peuple ; la non prise en compte effective de la société civile, dont la présence aux négociations d’Alger n’a été que superficielle.
Sans compter le caractère contraignant de certaines dispositions qui ne prennent pas en compte les limites juridiques définies par le gouvernement ; la décision équivoque du cantonnement des combattants non désarmés dans leurs fiefs respectifs ; les dispositions contraires aux lois et exigences d’une véritable armée nationale telles que le processus de DDR aboutissant à une armée composite voire communautaire ; le redéploiement de 80 % de ces intégrés sur leur territoire d’origine ; l’intégration systématique des combattants avec leurs grades acquis au sein de leurs groupes d’origine, ignorant les règles qui régissent une armée nationale et républicaine ; la mise en place des autorités intérimaires, non prévue par l’Accord affaiblissant sa mise en œuvre.
Le conférencier a aussi dénoncé la duplicité de la Médiation internationale, notamment les Nations unies qui imposent unilatéralement des dispositions attentatoires à l’esprit et aux fondements de l’APRM, à l’instar du «Pacte pour le Mali», ou qui adoubent des acteurs tels le Comité stratégique permanent, non signataire de l’APRM, devenu après le Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD) en s’octroyant les missions de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA).
Pour Ag Hamani, les agendas particuliers de certains partenaires et le rôle du Chef de file de la Médiation (Algérie) qui parait ambigu pour certains, car il semble avoir au Mali des intérêts géopolitiques et géostratégiques qui peuvent altérer la neutralité de sa mission et l’accélération de la mise en oeuvre de l’APRM qui n’a pas à «hauteur de souhait» à cause aussi de «facteurs essentiels». Pour l’homme d’Etat et président fondateur de l’Association pour la revalorisation de l’expertise nationale (ARENA) «les plus visibles» de ces facteurs sont, entre autres, les résultats mitigés de la force internationale militaire sur le terrain, près de 15 000 hommes de toutes les nationalités qui ne sont pas arrivés à endiguer le terrorisme.
Pire, a déploré l’ancien diplomate (ambassadeur du Mali successivement auprès du Maroc, de la Belgique, du Grand-duché du Luxembourg et de l’Union européenne) «du nord du Mali où il était localisé, le terrorisme s’est métastasé sur presque l’ensemble du pays, avant de se propager dans le Sahel, avec des velléités d’atteindre le Golfe de Guinée».
Quand la paix devient un filon juteux pour les acteurs
«La Mission Multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation du Mali (MINUSMA) n’a également pas abouti aux résultats de paix et de réconciliation, essentiellement par l’inadéquation de ses missions onusiennes classiques avec les réalités maliennes, car il ne s’agit pas d’interposition entre deux camps belligérants dans les principales villes du pays, mais plutôt de faire face à une guerre asymétrique qui opère sur le terrain», a aussi souligné Ahmed Mohamed Ag Hamani lors de sa conférence-débat du 28 octobre 2023.
A son avis, l’APRM a aussi souffert d’autres défis non moins importants comme l’intérêt géopolitique et géostratégique que suscite Sahel, particulièrement le Mali, non seulement en raison des immenses richesses de son sol et de son sous-sol, mais aussi, la recomposition actuelle du nouvel ordre politique et économique mondial. «Je voudrais évoquer ensuite les intérêts personnels qui font que certaines parties à l’Accord se plaisent dans un statut sclérosant qui arrange leurs ambitions politiques et matérielles», a dénoncé l’ancien Premier ministre (du 9 juin 2002 jusqu’au 28 avril 2004) de feu le président Amadou Toumani Touré dit ATT.
Dans sa communication, l’éminence grise a touché du doigt d’autres phénomènes qui empêchent toute possibilité de paix. Il s’agir notamment du narcotrafic et de la criminalité transfrontalière qui veulent «sanctuariser» de larges zones sahéliennes pour une économie désormais florissante. «Nul n’ignore aujourd’hui l’infiltration des narcotrafiquants dans les instances de décisions, souvent à des niveaux particulièrement élevés, constituant des obstacles de poids pour tout contrôle des zones de passage pour leurs business», a déploré Ag Hamani. «Vous comprenez mieux pourquoi les efforts de paix n’ont pratiquement pas été concluants», a-t-il souligné.
«L’objectivité nous oblige dès lors à reconnaître que tous ces accords, initiatives, fora et conférences, qui font les mêmes analyses conduisent à des solutions probablement erronées», a également déploré l’ancien Haut-commissaire de l’Organisation de mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS). Il a notamment déploré la non intégration de «la dimension culturelle, notamment religieuse», dans l’analyse des crises. Ce qui a rendu difficile «les velléités de solutions pérennes».
En définitive, a déploré l’ingénieur-statisticien de formation, «la paix elle-même est devenue un filon exploité maintes fois par des associations, personnes physiques et morales qui multiplient les activités lucratives, concertations, colloques, marches, activités culturelles et sportives pour la paix». Comme nous le conseille si bien l’éminence grise, «ouvrons les yeux sur la réalité que l’existence même du pays devient pour chacun de nous la préoccupation quotidienne fondamentale».
Et de s’interroger : devons-nous, pour autant, baisser définitivement les bras ? Ne devons-nous pas puiser dans nos ressources intellectuelles et morales ultimes pour explorer la moindre piste, afin de nous engager dans la voie de survie du pays ? Des questions pertinentes dont les réponses vont déterminer la paix et la stabilité de notre pays voire du Sahel !
Moussa Bolly