Cela fait dix ans, ce jeudi, que nos collègues de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont été assassinés à Kidal, dans le nord du Mali. Ils étaient en reportage lorsqu’un commando d’al-Qaïda au Maghreb islamique les a enlevés avant de les exécuter, moins d’une heure plus tard, aux portes de la ville. Dix ans après les faits, l’enquête judiciaire est toujours en cours en France. Le juge d’instruction en charge de l’affaire a reçu, le 25 octobre dernier, les parties civiles pour faire le point sur la procédure. Des avancées ont été réalisées, des certitudes acquises, mais des zones d’ombres demeurent.
Depuis deux ans, c’est la téléphonie qui a permis les plus importantes avancées. Les enquêteurs ont analysé les données contenues dans les téléphones retrouvés dans le véhicule abandonné par les ravisseurs : ces fadettes, obtenues de longue lutte – l’opérateur Malitel n’a fini par les transmettre à la justice qu’en 2021 – ont notamment permis de mettre à jour un réseau de complicités allant au-delà des quatre membres du commando et des deux commanditaires.
Complices
Des habitants de Kidal, dont un membre du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad, à l’époque engagé dans une rébellion indépendantiste), ont ainsi communiqué avec les membres du commando ce 2 novembre 2013 ou les jours précédents, et pourraient donc avoir été impliqués dans l’enlèvement. D’autres numéros de potentiels complices restent à identifier. Rappelons que c’est juste après avoir interviewé un cadre du MNLA à son domicile que Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont été enlevés, puis abattus.
Dix ans après les faits, seul un membre présumé du commando et un commanditaire sont toujours en vie. Ainsi, donc, que certains complices. Les proches de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, qui avaient à plusieurs reprises déploré la « neutralisation » de certains protagonistes par l’armée française, dans le cadre de ses opérations antiterroristes au Mali, espèrent que les derniers « survivants » pourront un jour être auditionnés par la justice.
Coopération judiciaire suspendue avec le Mali
Mais la rupture diplomatique entre la France et les autorités maliennes de transition vient compliquer les choses : la coopération judiciaire entre les deux pays est aujourd’hui totalement suspendue. Impossible pour le juge de se rendre sur place, et d’espérer un quelconque soutien ou partage d’informations de la part de la justice malienne. Pas de coopération judiciaire non plus avec l’Algérie, alors que des numéros de téléphone algériens restent également à identifier.
Une avancée notable a cependant été réalisé récemment : l’audition au mois de septembre, par le juge d’instruction en charge de l’affaire, Jean-Marc Herbaut, d’Olivier Dubois. Ce journaliste a été libéré en mars dernier après avoir été retenu en otage pendant deux ans, dans le nord du Mali, par al-Qaïda. Peu avant sa libération, Olivier Dubois s’était entretenu avec Seidane Ag Hitta, l’un des principaux dirigeants du Jnim et d’al-Qaïda au Maghreb islamique, qui a reconnu avoir personnellement commandité l’enlèvement de Ghislaine Dupont et Claude Verlon.
Seidane Ag Hitta
La version des faits livrée par ce chef jihadiste confirme que le véhicule des ravisseurs est bien tombé en panne à la sortie de la ville de Kidal. Les membres du commando auraient alors voulu fuir au plus vite, à pied, « car ils se savaient poursuivis », selon les propos de Seidane Ag Hitta.
Maître Marie Dosé a confirmé, lors de la conférence de presse du 30 octobre organisée par l’Association des amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, qu’Olivier Dubois avait, lors de son audition par le juge d’instruction, rapporté l’utilisation de cette formule par Seidane Ag Hitta. Cette formule est évidemment sujette à caution, car elle vient du témoignage d’un chef jihadiste livré à son otage. Seidane Ag Hitta affirme également que Ghislaine Dupont et Claude Verlon n’auraient pas obtempéré et que les membres du commando ont donc décidé de les exécuter.
Questionnements
Après la révélation par RFI, en 2019, que des soldats français, et notamment les forces spéciales présentes à Kidal à l’époque, s’étaient engagés à la poursuite des ravisseurs – ce qui n’avait jamais été mentionné dans la version officielle des autorités françaises –, le juge d’instruction avait auditionné plusieurs militaires. Depuis, l’action de l’armée française ce jour-là ne constitue plus une piste de travail privilégiée par le juge d’instruction.
Les questionnements sur la présence d’un hélicoptère français qui aurait pris en chasse le véhicule des ravisseurs demeurent : plusieurs sources ont, dès le premier jour, y compris au sein des services français, fait mention de la présence de cet hélicoptère, qui n’a cependant jamais pu être formellement recoupée.
Autre questionnement majeur qui reste en suspens : les incohérences d’horaires. Ce 2 novembre 2013, l’information de la mort de Ghislaine Dupont et Claude Verlon a commencé à circuler avant l’heure à laquelle l’armée française a officiellement découvert les corps. Ce qu’aucun élément n’a permis d’expliquer à ce jour.
Secret défense
En dix ans, de nombreux documents « secret défense » ont été déclassifiés pour nourrir l’enquête judiciaire, y compris au cours de l’année écoulée. Certains ont permis de réaliser de véritables avancées, d’autres ont été trop « caviardés » : des passages entiers effacés les ont rendus inexploitables. De nouvelles demandes de déclassification continuent d’être formulées par les parties civiles.
Au cours d’entretiens « off the record », non enregistrés, avec des journalistes de RFI, l’ancien président François Hollande et l’ancien chef des services français de renseignement extérieur Bernard Bajolet ont tous deux parlé, respectivement en 2013 et 2018, d’une conversation téléphonique entre un membre du commando et un présumé commanditaire interceptée, ce 2 novembre 2013, par un service occidental de renseignement.
Au cours de cette écoute, le commanditaire aurait notamment reproché à l’exécutant d’avoir « gâché la marchandise ». Pourtant, devant le juge, François Hollande et Bernard Bajolet ont tous deux nié avoir évoqué cette écoute. Existe-t-elle vraiment ? Est-elle couverte par le « secret défense » ? Permettrait-elle d’en savoir davantage ?
Photos de la Minusma
Enfin, cela fait quatre ans que le juge d’instruction a demandé aux Nations unies certains documents, notamment des photos prises par la Minusma, à Kidal, peu avant les faits. Depuis, cette demande est restée sans suite : le juge n’a tout simplement pas reçu de réponse. Ce qui suscite étonnement et colère chez les parties civiles, qui précisent que ces photos seraient précieuses pour recouper d’autres informations, notamment sur la surveillance mise en place autour de Ghislaine Dupont et Claude Verlon.
Dix années après les faits, les proches de Ghislaine Dupont ont donc acquis des certitudes, mais conservent également de nombreuses interrogations. Et continuent de se battre et d’espérer, pour la manifestation de la vérité.