“Sur un plan éthique et de la morale, je trouve anormal, le principe des fonds spéciaux accordés aux présidents des institutions”
Dans une interview exclusive accordée à notre rédaction, l’ancien ministre et ex maire du District de Bamako, acteur majeur du mouvement démocratique, président de l’association “Notre action pour le Mali”, Ibrahima N’Diaye dit Iba nous décortique son dernier ouvrage intitulé : “Démocratie malienne, défaillances et perversités-quel projet pour demain”.
Aujourd’hui-Mali : Pourquoi votre ouvrage et son titre en ce moment précis ?
Ibrahima N’Diaye : L’idée de l’écriture du livre m’est venue par rapport à la situation difficile que vit le pays. Je pouvais le publier avant mais avec la perspective de Référendum dès lors qu’il y a des points de vue qui sont un peu en décalage avec le discours officiel, en le publiant avant, cela pouvait paraître comme une gêne, alors que j’étais pour la tenue de ce référendum. Je ne suis pas un littéraire mais quand les événements se présentent de cette manière, j’ai envie de donner mon point de vue. C’est ce qui m’a amené à sortir ce document juste après le référendum. C’est une invitation au débat avec des idées que je développe. J’espère qu’il y a une cohérence entre cette volonté de rassemblement de tout le monde, les propositions concrètes que je formule, le contenu du livre, cette vision et cette ambition.
Ce débat dans le livre porte sur quoi ?
Dans le livre, il est beaucoup question de la démocratie aujourd’hui. Le débat est très intéressant. Les gens ne vont pas jusqu’au fond de leurs idées. Mais quand vous les entendez, vous avez l’impression qu’ils sont contre la démocratie.
Nous sommes des acteurs de l’avènement de la démocratie au Mali. Nous avons un bilan qui n’est pas parfait du fait des insuffisances mêmes du modèle ; modèle parce qu’il y a plusieurs formes de démocraties ; la démocratie elle-même avec ses fondamentaux et diverses versions à la française, à l’américaine, à l’allemande.
Nous avons été impactés par le modèle français. Il y a des choses qui sont liées à la nature même du modèle démocratique que nous avons choisi. De bonne foi, il n’y avait pas d’expérience antérieure. Nous sommes allés avec la volonté de la liberté d’expression, la liberté d’opinion, la liberté de presse, la liberté d’entreprise, et les droits de l’Homme. Et cela était assez intéressant pour nous de vouloir les amener et les instituer au Mali. Maintenant, dans la pratique, il y a des choses qui sont révélées. Il y a des résultats qui ont été au rendez-vous et qui étaient contraires aux objectifs mêmes de la démocratie. C’est la raison pour laquelle je parle des effets pervers d’un système qui, dans l’application, n’a pas produit tous les fruits escomptés. Voilà pour le titre.
Et la volonté d’écrire, c’est de susciter un vrai débat, honnête, sincère et que chacun exprime sincèrement ses points de vue. On peut trouver des insuffisances, certains peuvent critiquer. D’ailleurs, c’est pourquoi j’ai fait un tome dans lequel j’ai effleuré beaucoup de sujets. Chacune des thématiques peut donner lieu à un livre.
Pour moi, l’objectif du document, c’est de provoquer, susciter des débats tout en avançant des idées en termes de propositions importantes qui sont en porte-à-faux avec beaucoup de choses que nous avons et même avec la nouvelle Constitution. Mais, c’est pour dire de prendre rendez-vous pour d’autres échéances. Et la vie, c’est cela, une perpétuelle remise en cause, parce qu’il faut s’adapter au fur et à mesure. Voilà l’esprit avec lequel j’ai voulu publier le livre. Et j’attends des réactions.
Dans cet ouvrage, on peut voir mes faiblesses, mes erreurs, mes fautes. Mais, j’assume tout. Je me présente aux gens avec mes idées qui ne sont pas des vérités absolues. J’attends les critiques pour qu’on puisse me convaincre du contraire de ce que j’ai écrit. Donc, je ne me cache pas. J’ai des limites aussi, j’ai des erreurs d’appréciation. Tout cela fait partie du jeu.
Partant de votre expérience professionnelle et politique, faut-il corriger ces insuffisances ou changer carrément le système démocratique ?
Tant que c’est la démocratie, je n’ai pas de problème. Parce que la démocratie repose sur des principes, sur des fondamentaux, sur des valeurs universelles qu’on ne peut pas contester. Le fait d’instituer la liberté de presse avec l’avènement de la démocratie est une avancée parce qu’il n’y avait au Mali que la radio d’Etat, Radio Mali, le journal d’Etat, L’Essor.
Donc, il n’y avait pas la liberté de presse avant l’avènement de la démocratie au Mali. Les organes de presse privée au Mali sont les produits de la démocratie. Je suis élogieux vis-à-vis de ces conquêtes de la démocratie, qui ont leurs revers. Je viens en militant, en témoin, pour montrer des exemples de fruits de la conquête de la démocratie. Nous devons mener ce combat et il n’y a pas d’âge pour ce combat.
Tant qu’on aime son pays, jusqu’à la tombe, nous ne devons pas être différents. La démocratie repose sur des fondamentaux partagés par tous les Maliens d’ailleurs. Mais dans la pratique, nous ne sommes pas équilibrés, nous ne sommes pas justes. Donc, il faut faire le bilan. J’assume le bilan. Si l’histoire doit nous condamner, je préfère être condamné par cette histoire. Mais, ne pas défendre des choses que nous avons cautionnées, soutenues, cela n’est pas honnête.
Un jour, un jeune prince est venu demande au Roi ce qu’il préfère de toutes les qualités. Le Roi lui a répondu d’être toujours juste. Cette justesse veut dire beaucoup de choses. Nous avons perdu cette valeur de justesse. Je pense qu’il est temps de mener un autre débat pour défendre les valeurs à la malienne, différentes de la démocratie à la française. Dans ce cas, je parle de renaissance. Aujourd’hui, il faut que nous soyons en mesure de créer dans le système démocratique un modèle malien qui épouse nos valeurs. Même avec cette Constitution à la française, nous n’avons pas un modèle adapté. Nous imitons la France alors que nous avons combattu l’Etat français, le système français qui nous a détruits qui nous a amené tous les maux que nous connaissons. Même la souveraineté dont on parle, c’est par rapport aux frontières qui sont un héritage colonial. C’est la France qui est venue tracer ces frontières. Et cela a été fait de manière à ce que les mêmes communautés soient divisées entre elles. Allez au Nord, vous allez le constater. Les Sonrhaïs sont entre le Mali et le Niger, la Mauritanie, le Burkina Faso. C’est pareil pour les Dogons, les Sénoufos qui sont entre le Mali et la Côte d’Ivoire, les Soninkés, les Peulhs et toutes les autres ethnies. Nous sommes en train de nous cramponner sur ces frontières.
En 1960, le législateur a été très intelligent, pragmatique en disant que si nous ne reconnaissons pas ces frontières, nous allons avoir beaucoup de problèmes pour pouvoir travailler. Et en adoptant ces frontières avec la Constitution de 1960, le législateur a laissé une ouverture pour dire que nous défendons ces frontières, mais il faut aller à l’intégration africaine.
Et pour cette intégration, le Mali est prêt à renoncer, totalement ou partiellement, à sa souveraineté nationale pour la réalisation de l’unité africaine. Cela est très fort. Il n’y a pas de panafricanisme qui parle au-delà de cela. C’est la raison pour laquelle, je pense qu’il y a encore du travail à faire.
Nous croyons être les vrais patriotes, mais, si nous voyons sur un point de vue historique, notre souveraineté peut parfois être critiquable à certains égards. Donc, faisons attention. Ce qui est arrivé aux Ivoiriens lorsqu’ils ont inventé cette fameuse notion de l’“ivoirité” a mis le peuple ivoirien à feu et à sang. Nous n’avons jamais dit que les Touaregs, les Arabes et autres ne sont pas dans leur pays. Il faut le rappeler et féliciter les régimes qui se sont succédé au Mali. Je pense qu’il faut travailler sur ça. Oui au système démocratique, mais les modèles démocratiques qui sont là aujourd’hui, nous avons le devoir de les revoir profondément.
Vous avez parlé de la démocratie à la malienne. Selon vous, quel pourra être la source d’inspiration de cette démocratie ?
La question est abordée dans mon livre. On a parlé de légitimités traditionnelles. Je pense que cela est une piste. Pendant la Transition, on a parlé suffisamment de cette thématique et j’ai vu que des efforts ont été fait pour accorder un statut à ces légitimités traditionnelles en leur octroyant des médailles, des certificats, des drapeaux. Cela est bien. Mais, j’ai été maire.
A ce titre, j’ai eu de meilleures relations avec les autorités traditionnelles du District de Bamako. Je ne suis pas un natif de Bamako, mais ils m’ont accepté, ils m’ont accueilli. Etant d’un village, je savais ce que ces autorités représentent.
Malgré toutes nos révolutions, on a su reconnaître que ces autorités traditionnelles jouent un rôle. On a découvert que ces autorités traditionnelles ont toujours la reconnaissance des citoyens au niveau des villages et ils ont joué un rôle.
Nous, démocrates, quand nous sommes venus et que désormais c’est la majorité qui peut gagner, beaucoup de gens ont approché ces leaders d’opinion pour les avoir avec eux. Comme les leaders religieux, ce sont les démocrates qui courent derrière ces légitimités traditionnelles. Parce que la démocratie, c’est quand on est avec la masse, on peut gagner. Dans la pratique réaliste, ces démocrates ont besoin de ces autorités traditionnelles pour avoir la majorité et gagner les élections. Donc, il faut aller plus loin. Je pense que chaque chef de village est une partie importante de son temps.
En tant que maire, cette notion m’a amené à octroyer symboliquement aux chefs de quartiers 5 000 F CFA par personne sous formes de pension, chaque 3 mois. Et cela en leur exprimant notre reconnaissance pour ce temps qu’ils consacrent à la cité. Parce qu’à l’époque, les chefs de villages et les chefs de quartiers de Bamako n’avaient pas grand-chose. Mais chaque fois qu’on les convoque, ils viennent répondre. J’avais honte du montant mais qu’est-ce que je vois, le trimestre fini, il y avait des gens qui venaient réclamer les 5 000 F CFA. Je me suis dit que c’est petit mais apparemment, ce n’est pas zéro. J’étais donc content. A l’occasion de la Can 2002, les activités étaient fortes. Et il fallait le concours des chefs de quartiers. Donc, j’ai doublé la somme en la portant à 10 000 F CFA. Au moment où je quittais la mairie, la somme était à 10 000 F CFA par chef de quartier. Pour les familles fondatrices de Bamako, il y avait 5 00F CFA ou 10 000F CFA de plus. Voilà ce que j’ai fait avec les autorités traditionnelles. Et j’ai fait du coordonnateur des chefs de quartiers, Bamoussa Touré (il est vivant), membre de droit du Conseil du District. Cela continue jusqu’à présent. Donc, quand je parle des choses comme ça, je dois donner la preuve qu’elles étaient une conviction. Ce n’est pas parce qu’il y a eu ces événements récents qu’on essaye de les courtiser. Il y a des témoins pour ces actions. J’ai cité Bamoussa Touré, mais il y a d’autres. Et quand j’étais maire du District, j’ai organisé pour la première fois au Mali, un atelier consacré au rôle et à la place des autorités traditionnelles dans la cité. Cette conférence s’est tenue au CICB. Il y a des références dans les journaux de l’époque. Avec ma vie de villageois, je connais l’importance des autorités traditionnelles. Nous sommes des N’Diaye, dans notre village, les chefs de village sont des Diallo, nous les N’Diaye, nous sommes l’imamat. Cela est toujours maintenu. Dans le village, nous arrivons à nous épauler pour la gestion des problèmes.
Monsieur le ministre, une grande partie de votre ouvrage est réservée à la conduite de la Transition. Quel regard portez-vous sur cette conduite ?
Il faut aller à l’origine de cette Transition pour justifier les prises de position. Avec la démocratie, un certain nombre de choses a été institué pour que le pays soit géré par des personnalités élues, pas pour courir derrière une personne quand il prend le pouvoir par la force. Le lendemain, tout le monde descend dans la rue pour soutenir celui-ci. C’est ce qui s’est passé au Mali, en Guinée Conakry, au Niger. Je reconnais la légitimité du coup du Mali parce que nous étions dans la rue du fait d’un président démocratiquement élu qui était Ibrahim Boubacar Kéita. Nous étions dans l’opposition. Paix à l’âme de Soumaïla Cissé, j’ai toujours flatté le fait que dans nos manifestations, nous n’avons jamais cassé une branche d’arbre. On sortait, on nous matraquait. C’est cela le combat politique, c’est cela la noblesse dans l’opposition. Nous étions bloqués. J’ai des souvenirs douloureux. On ne souhaitait pas un coup d’Etat, mais il n’y avait pas que les politiques dans la rue. Il y avait la société civile, les religieux et d’autres horizons. Les gens ne voulaient plus du régime d’IBK, il fallait qu’il dégage. Il fallait faire tomber le régime. Cependant, nous, nous avions reconnu le régime d’IBK. Il fallait être patient. Il fallait convaincre nos camarades politiques. Les radicaux ont fini d’avoir suffisamment d’arguments pour se mobiliser davantage. Nous avons continué le combat jusqu’à ce que de jeunes officiers, tout comme en 1991, décident d’arrêter l’hémorragie parce que le pays était bloqué. Et tout le monde était soulagé. Ces officiers ont fait une première erreur en ne venant pas vers les acteurs qui sont à l’origine de la chute du régime d’IBK. Ils ont parachevé l’action de ces acteurs, mais ils sont allés chercher des gens qui n’étaient pas des figures de proue de notre action. Je veux parler de Bah N’Daw qui serait, paraît-il, un parent à Assimi Goïta, et puis Moctar Ouane. Ces officiers devaient se dire que s’ils veulent gouverner, ils devaient gouverner avec les forces du changement. Malheureusement, ça n’a pas été le cas. Neuf mois après, ils sont revenus en faisant signe au M5RFP auquel, naturellement, on devait s’adresser. Et il y a eu une réaction favorable. Ce qui a amené le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga aux affaires.
Mais, nous ne sommes pas d’accord sur la conduite des affaires. Le plus important, c’est que les officiers ont accepté de dialoguer et de négocier avec les forces vives de la nation. C’est ainsi qu’il y a eu une première entente. Ils sont revenus sur cette entente après le coup d’Etat de mai 2021 de rectification. Je ne parle pas de rectification mais de requalification. Je pense que tout n’est pas rose mais n’oublions pas que cette Transition malienne est le fruit de dialogue et de négociation. Je ne peux aligner cela sur le même niveau que le coup d’Etat intervenu au Burkina Faso et au Niger.
Donc, la Transition malienne, c’est notre Transition. Si cette Transition échouait, ce serait un échec à nous tous. En tant que témoins de beaucoup de choses, si nous restons sur une certaine raideur, en écoutant ceux qui sont injustes vis-à-vis du bilan passé sans discernement, personnellement, à mon âge, je dirai toujours ma part de vérité sans aucune haine.
Depuis l’indépendance du Mali, aucun président n’a fini son mandat à part Alpha Oumar Konaré qui vit encore et qui a fait beaucoup de choses fantastiques. Je le dis sans gêne. Je suis à l’aise dans des combats politiques, je le fais pour moi-même parce que nous avons cautionné et nous avons participé. Je suis comptable du bilan du mouvement démocratique. Je soutiens Alpha à ce titre. On peut nous insulter, c’est normal. Dieu merci. En tout cas, je pense que les gens comprennent que nous avons ce statut et qu’ils nous respectent. Mais, il ne faut pas que nous aussi nous abusions de cela. Je dis, quiconque prendra le pouvoir dans une atmosphère de haine, d’injustice, de violence, ne pourra pas marcher. Essayons de dégager des pistes pour que les adversaires et les partisans se retrouvent et se mettent d’accord sur un front commun. Et les divergences s’exprimeront mais sur la base de ce socle que nous avons. Il n’est pas trop tard pour cela. Dans mes propositions, il y a le mode de gouvernement autour du badenya (la fraternité) où tout le monde doit y être. Je mets toujours cette notion à l’image de la femme.
Je n’ai pas choisi d’être malien, je suis malien, mon père était malien, mon grand-père était malien, mon arrière-grand-père était malien. Dès lors que nous sommes fiers d’être des Maliens, il y a des choses sur lesquelles nous devons être tous traités à égalité. Dans la compétition, si on gagne, on ne peut être un monarque. C’est ce qui est arrivé. Le président de la République est un citoyen comme tout le monde. Un président ne doit pas avoir tout le pouvoir et détruire les autres, ses adversaires. L’exemple sénégalais est là.
Nous avons tous les ingrédients pour qu’en fin nous puissions nous retrouver dans des débats sincères, honnêtes, sans passion. Je ne demande plus rien. Je rends grâce à Dieu. Mais il sera égoïste de rester indifférent. Alors, ma participation dans ce combat, dans ce débat, c’est une obligation morale d’apporter ma force, mes idées pour débattre sincèrement. Mais, nous ne sommes pas dans la bonne voie à cause de cette haine que nous cultivons entre nous.
Par exemple, au niveau politique, quand on participe à un débat depuis l’avènement de la démocratie, on se prépare pour aller détruire son adversaire, sans parler de ses qualités, de ses compétences. Cet adversaire aussi se défend de la même manière. On se voit en ennemis jurés. On se démolit les uns, les autres. Alors que, parmi les adversaires, il y a des gens dignes, qui ont une compétence. On peut dire qu’on n’aime pas quelqu’un mais on ne peut pas dire qu’il n’a pas de compétence. Il faut un génie pour les faire converger dans la même direction. Dans un système de compétition, les règles de jeu sont comme dans le sport, parce qu’il y a des fondamentaux qui sont partagés de part tout le monde. Mais en politique, les enjeux ne sont pas les mêmes. Quand on se bat pour le président de la République, tout le pays t’appartient.
Par exemple, au moment où IBK venait au pouvoir, toutes les Institutions étaient dirigées par des Adémistes. Mais durant le mandat d’IBK, ils ont tous viré au RPM. Il faut arrêter ce phénomène. Parce que le président est le patron de tout le monde et chacun vient se mettre sous le parapluie de ce président en oubliant les populations, en oubliant son parti, en oubliant que le jeu démocratique, c’est grâce à ces différences, à ces divergences. Il est très important d’en parler maintenant.
Faudra-t-il respecter le mandat ? C’est la question clé. Quand un président est élu, il sait qu’à la fin de 5 ans son mandat sera remis en jeu. Je reconnais qu’Alpha a fait un travail unique. Quelles que soient les intentions qu’on lui prête, il est parti. Et quand il est parti, il a été moins entendu. Ce qu’on lui reproche d’ailleurs. Mais ce sont les règles du jeu. Pourquoi fixer des dates si elles ne sont pas respectées ? Il ne faut pas jouer avec ces dates.
J’aime Assimi Goïta, je veux le protéger contre beaucoup d’aléas. Je souhaite qu’il respecte les dates de la Transition. Son bonheur, le bonheur du Mali, des Maliens dépendent de cela.
ATT a fait sa Transition en 14 mois, mais quand il est parti, les Maliens ont commencé à le regretter. ATT était militaire. Il est revenu par les urnes. Paix à son âme. Il faut respecter le programme établi. Personne n’est indispensable. Le cimetière est rempli de gens indispensables. Il faut faire attention. Il ne faut pas banaliser les coups d’Etat. Finalement, l’alternance se fera par des coups d’Etat. Et dans des pays qui ont des difficultés, il y aura toujours des arguments pour faire et justifier des coups d’Etat. Ceux qui banalisent les coups d’Etat prennent les arguments sur certaines insuffisances en pensant que les urnes ne sont pas les vecteurs d’alternance. C’est la raison pour laquelle, il est bon que les politiques viennent au pouvoir parce qu’ils sont connus du grand public.
Vous avez qualifié de détournements légaux, les fonds spéciaux alloués à certains chefs d’Institutions comme le chef de l’Etat, le président de l’Assemblée nationale et le Premier ministre. Pourquoi ce qualificatif de détournements légaux ?
Peut-être que le terme de détournements légaux ne convient pas parce que je ne suis pas juriste, je ne suis pas un homme de Droit. J’ai voulu dire que si les pauvres maires, les pauvres préfets détournent des fonds, ils sont interpellés, jugés et emprisonnés. Mais lorsqu’un président a la majorité, il a la possibilité de voter des lois pour s’octroyer des privilèges qui ne font pas honneur à la morale. Quand on donne à un chef d’Etat un fonds de 150 millions F CFA différent de son salaire et de ses indemnités et qu’il dépense sans rendre compte à personne, sans aucune traçabilité, soit près de 2 milliards par an, il se paie des jeunes, il se paie des femmes pour les entretenir sur ce fonds qui est de l’argent public. Pour moi, tout ce fonds de 150 millions F CFA doit retourner au Trésor public.
Le Président de la République, le Premier ministre, les gouvernements respectifs, les départements respectifs auront à gérer ces fonds dans des domaines publics. Malheureusement, c’est avec IBK que nous avons connu ces pratiques que je trouve anormales. Il s’agit de gagner légalement sans poursuite. Sur un plan d’éthique et de morale, surtout dans un pays en crise profonde, ces pratiques me paraissent anormales, démesurées. Nous avons fait partir IBK qui avait un programme présidentiel qui était le programme du gouvernement. Ce fonds de 150 millions F CFA par mois fait 1 800 000 000 F CFA par an dans le budget. Le président doit renoncer à ce fonds. Pour le Premier ministre, c’est 35 millions FCFA par mois. Lui aussi a commencé à faire des forages à son nom. Il faut supprimer ces fonds parce que le président de la République a un budget de 16 milliards F CFA. Le Premier ministre a un budget de 13 milliards F CFA. Le président de l’Assemblée nationale a un budget de 13 milliards F CFA. Les présidents de ces institutions sont totalement pris en charge par l’Etat sans compter leurs vrais salaires. Même s’ils ont le rhume, ils ne paient pas leur ordonnance. On demande aux Smiga de se débrouiller avec ses 50 000 F CFA par mois. Avec leurs budgets de plus de 10 milliards F CFA, les présidents des institutions doivent se débrouiller pour restructurer, revoir leurs fonds. Ils doivent investir ces fonds dans des réalisations qui feront parties du bilan du président de la République et de son gouvernement. Légalement, ils s’octroient des choses qui, moralement, ne sont pas défendables. Mais, ce n’est pas la junte militaire au pouvoir au Mali qui a amené cette pratique de gestion. Elle l’a trouvée sur place. Mais ces militaires auraient mérité en soulevant ces questions tout en apportant des solutions. Ils ne l’ont pas fait. Ils font le même usage de ces fonds. C’est le régime d’IBK qui a tout gonflé. J’ai demandé un jour au président de notre groupe parlementaire Mody N’Diaye (paix à son âme) qu’il y a des sujets sur lesquels on n’a pas la notion de base. Il a accepté de venir faire un exposé sur le budget pour que nous le sachions. Ce jour, nous avons découvert des choses. Il y a au niveau du ministère des Finances ce qu’on appelle les charges communes.
Le président de la République, le Président de l’Assemblée nationale, le Premier ministre, ils viennent tous puiser dans ces charges communes. Dans le budget actuel, les charges communes sont particulièrement élevées. Je demande aux spécialistes des finances de nous aider à comprendre ces charges communes qui sont presque égales au budget de la Défense, au budget de l’Education.
Ces charges communes sont un gros budget. Il faut que les gens sachent que les fonds utilisés par les présidents des institutions sont l’argent du peuple. Et l’estime, le respect, le succès d’Assimi Goïta, ce n’est pas avec ses forages. Si c’était le ministère qui faisait ces forages, ce serait au crédit du Président Assimi Goïta. Donc, j’ai une autre lecture de ces questions. C’est sûr et certain que les Maliens feront des éloges sur les réalisations du régime de la Transition. Mais à qui attribuer ces réalisations ? Sortons de ce jeu. Sous Alpha Oumar Konaré, ATT, ces fonds existaient. Avez-vous vu ce qu’Alpha a pu réaliser ? Avec son ministre de la Culture, il a donné à toutes les villes une âme avec un budget que la Présidence gérait. Mais, il le faisait avec Pascal Baba Coulibaly (paix à son âme). Sortons de ce jeu. C’est le président qui nomme les ministres. Il peut se mettre derrière ces ministres pour les cravacher afin de réaliser ce qu’il veut.
En étant maire du District de Bamako, quel est votre principal acquis en termes de bilan ?
J’ai un peu de peine à parler de mon bilan. Peut-être des choses n’ont pas marché. Dans le domaine de l’assainissement, j’ai fait ce que je pouvais. Mais, je n’ai pas pu résoudre cette question.
Le problème d’assainissement est très lourd et très compliqué. Il y a d’autres connexions autour de l’assainissement. Si ces connexions ne marchent pas, le maire n’a pas tout le pouvoir pour réussir l’assainissement. J’avais des projets. Quand je venais à la mairie du District, j’avais un budget de 2 milliards F CFA. Quand je partais, il y avait un budget de 8 milliards F CFA. Aujourd’hui, la mairie a un budget à peu près de 20 milliards F CFA.
En dehors de l’assainissement, il y a le problème de la circulation dans Bamako. J’ai fait mes efforts. Je n’ai pas pu tout régler. Il y a l’incivisme auquel je me suis confronté. Il y a l’attitude des élus mêmes. Les conseillers qui n’étaient du même parti que moi n’épousaient pas ce que je voulais faire. Cela m’a posé préjudices. Mes satisfactions sont nombreuses. Je pense que depuis l’indépendance du Mali, je suis le premier maire élu du District de Bamako. Avant moi, il y avait les gouverneurs. Comme satisfaction, il y a les Halles de Bamako qui est mon initiative personnelle. C’est long à expliquer. Je n’ai même pas fini tout mon mandat. Parce que les élections ont été difficiles et au moment où on finissait ces élections, le mandat avait commencé à courir. Mais j’ai fait ce que nul autre maire n’a pu faire. En 3 ans, j’ai réalisé les Halles de Bamako. Personne n’a un franc dedans, ni un partenaire, ni un crédit. Je n’ai pas reçu un centime de l’Etat ou d’un partenaire. Les Halles de Bamako ont été construits à plusieurs milliards F CFA sur fonds propre de la mairie du District de Bamako. Tout est une question de savoir-faire.
Le Musée de Bamako qui est dans le Jardin contigu à la Mairie du District en face du Carrefour des jeunes fait partie de mon bilan aussi. J’ai constitué ce Musée jusqu’à le terminer en faisant des appels pour mettre un minimum d’œuvres sur le territoire du District de Bamako. Beaucoup de Bamakois pensent que les meilleurs endroits sont les endroits traditionnels avec quelques vestiges. J’ai inauguré ce Musée et j’ai mis là-bas un bureau pour les chefs de quartiers et j’ai aménagé le jardin qui était de la broussaille. Quand je venais à la Mairie, ce sont les drogués qui passaient toute la journée couchés sous les herbes de ce jardin. C’est moi qui ai commandé toutes les statues d’animaux qui sont dans le jardin avec un jeune qui est ensuite député dans sa Commune. C’est comme ça que j’ai aménagé tout le jardin. Ce jardin est le premier endroit que le Colon a occupé pour faire un Fort. Il y a ces vestiges dans ce jardin. Il restait seulement un pan du mur du Fort que j’ai gardé comme vestige.
J’ai réhabilité le premier puits que le Colon a creusé. Bamako est la seule ville en Afrique de l’Ouest à avoir son Musée.
Quand je venais, il y avait un orchestre qui n’avait plus de matériel et une troupe. Cela faisait pitié. C’est comme ça que j’ai appelé feu Harouna Barry pour m’accompagner à Paris où nous avons payé des instruments neufs que j’ai mis à la disposition de l’orchestre. Il y avait l’orchestre moderne et la troupe qui étaient dans des conditions déplorables. En 3 ans de mandat je les ai réhabilités.
Ensuite, j’ai créé l’Association des municipalités du Mali. Il y avait l’Association des maires qui est passée de 19 à 700 Communes. Et j’ai organisé un Congrès constitutif avec tous les maires du Mali. Le Président Alpha Oumar Konaré était aux anges, content et fier de voir la salle du congrès remplie de tous les maires du Mali. J’ai dit à Alpha Oumar Konaré d’instituer de telle rencontre, la Journée des Communes. Il m’a dit de l’écrire.
A la demande du Président Alpha Oumar Konaré, la proposition de l’institutionnalisation de la Journée des communes vient de moi. Je peux le dire partout et je ne serai pas démenti. C’est avec ma proposition que le Président Alpha a pris un Décret pour instituer la Journée des Communes. Et quand Alpha Oumar Konaré a quitté le pouvoir, j’ai expliqué le concept au Président Amadou Toumani Touré “ ATT “ qui a sauté sur l’occasion. La Journée des Communes est la fête des élus. Durant cette Journée, les élus étaient à l’aise avec ATT. Ce jour-là, nous avons travaillé pour les photographes. C’est comme ça que l’Association des maires est devenue l’Association des municipalités. Je ne voulais pas donner l’impression que c’est le syndicat des maires. Jusqu’à mon départ de la mairie, chaque année la Journée des municipalités était célébrée et dont la cérémonie était présidée par le Chef de l’Etat qui recevait le soir tous les maires du Mali à Koulouba. Quand je venais à la mairie, il y avait 800 millions F CFA de crédits pour un budget de 2 milliards F CFA.
Le salaire du personnel était payé par avance par le Trésor public. J’étais envahi par des créanciers qui, à un moment donné, voulaient m’enlever. J’ai pu éponger les 800 millions F CFA. J’ai entretenu la coopération avec la ville d’Angers en France. Dans le cadre de ce programme, nous avons construit sous mon mandat les Cscoms de Sénou, de la Commune 3, de Sébéninkoro (Commune IV), de Faladiè.Dans le domaine des adductions d’eau, nous avons réalisé des forages dont celui de Samè. Je n’ai pas dit toutes les réalisations de la mairie du District sous mon mandat.
Votre mot de la fin ?
En tant que maire du District, j’ai pu faire ce que j’ai pu faire. Un des grands problèmes de Bamako est la spéculation foncière. Nous l’avons gérée autant que nous pouvons. Même là, je ne peux pas dire que j’ai été propre à 100 %. Parce que, quand vous êtes un homme politique, il y a des gens que vous essayez de servir mais jamais au détriment du citoyen.
Le jour où j’ai su (à la suite des confidences d’une vieille dans les escaliers et qui m’a parlé sur un ton tout en pleurant) que mon conseiller aux affaires domaniales terrorisait les citoyens, le lendemain, je l’ai relevé de son poste. Ce conseiller est toujours là-bas. Je ne peux accepter des comportements comme ça avec une vieille femme. Cela n’est pas la politique, mais un manque d’éducation. Je reconnais que j’en ai donné à des gens mais c’est aussi important chez moi, il faut un seuil de tolérance. Personne n’est parfait. Mais, dans l’intolérance, il y a des limites qu’il ne faut pas dépasser. Je demande aux Maliens (opposants, dirigeants) de se mettre d’accord sur un autre projet de société. Il faut que tout le monde soit associé au projet de société. Les opposants ne sont pas des ennemis des dirigeants ou du pays.
Les dirigeants doivent écouter ce que les opposants disent. Ils ont leurs mots à dire dans la gestion du pays. Ma requalification est de donner 75 % de la majorité au gouvernement et même s’il le faut, il faut des ministres de l’opposition dans le gouvernement. La présence de l’opposition dans le gouvernement est nécessaire. Et c’est cela la transparence. Le pays appartient à tous ses fils et filles. Je veux que les Maliens cessent de copier chez les autres.
Le Mali a les cadres qu’il faut pour développer le pays. Seulement, il faut mettre ces cadres dans des conditions intellectuelles, les protéger et en leur donnant des orientations pour qu’ils puissent donner la plénitude de ce qu’ils sont. Toutes les thématiques que j’ai développées dans mon livre ouvrent une porte. Et je veux que ces thématiques soient approfondies par les autres pour nos enfants et nos petits-enfants. Dieu merci, là où nous sommes aujourd’hui, nous ne pouvons pas être indifférents à la situation du pays mais ce sera un miracle que je sois un danger au Mali.
Mon âge et mon état de santé font que je suis appelé à partir bientôt.
Réalisé par Kassoum THERA