Moscou a refusé lundi de reconduire en l’état l’accord sur l’exportation des céréales ukrainiennes, crucial pour l’alimentation mondiale, quelques heures après une attaque ukrainienne qui a partiellement détruit pour la deuxième fois le pont stratégique reliant la Russie à la péninsule de Crimée qu’elle a annexée en 2014.
Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a réagi à la décision russe, soulignant que « des centaines de millions de personnes font face à la faim » et qu’elles allaient en « payer le prix ». L’ambassadrice américaine à l’ONU Linda Thomas-Greenfield a accusé la Russie de « prendre l’humanité en otage » et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, rejointe par Londres, Paris et Berlin notamment, a condamné une mesure- « cynique ».
Quant à l’Ukraine, elle a affiché sa volonté de continuer à exporter ses céréales par la mer Noire, avec ou sans l’accord de Moscou sur la sécurité des navires. « Nous n’avons pas peur », a déclaré son président Volodymyr Zelensky, qui avait reçu au début du mois, au cours d’une visite à Istanbul, le soutien appuyé du président turc Recep Tayyip Erdogan, au grand dam des Russes.
Mais, pour l’heure, la Russie a signifié une fin de non-recevoir aux appels qui s’étaient multipliés ces derniers jours à la reconduction de l’accord, réclamant que l’on réponde à ses exigences sur ses propres exportations de céréales et d’engrais.
L’accord « s’est de facto terminé aujourd’hui », a lancé le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, ajoutant que « dès que la partie concernant la Russie sera satisfaite, la Russie reviendra immédiatement à l’accord sur les céréales ».
Exigences russes
« Si les capitales occidentales apprécient vraiment l’Initiative de la mer Noire, alors qu’elles envisagent sérieusement de remplir leurs obligations et retirent effectivement les engrais et les produits alimentaires russes des sanctions. Ce n’est que lorsque des résultats concrets seront obtenus, et non des promesses et des assurances, que la Russie sera prête à envisager de rétablir l’accord », a expliqué le ministère russe des Affaires étrangères.
Cette annonce est intervenue peu avant l’expiration de l’accord à minuit (21H00 GMT) à Istanbul.
Signé en juillet 2022 sur les rives du Bosphore et déjà prorogé à deux reprises, l’accord a permis, sur l’année écoulée, de sortir près de 33 millions de tonnes de céréales des ports ukrainiens, en dépit du conflit.
La Turquie, l’Ukraine et l’ONU se sont vu notifier la décision du Kremlin, a souligné la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan s’est cependant dit convaincu que son « ami M. Poutine » voulait maintenir cet accord permettant l’exportation des céréales d’Ukraine en mer Noire.
Londres a estimé que « les discussions » allaient se poursuivre et Paris a exhorté Moscou à « revenir sur sa décision ».
– Attaque ukrainienne –
Quelques heures plus tôt, une attaque ukrainienne par des drones navals a partiellement détruit, pour la deuxième fois, le pont qui enjambe le détroit de Kertch, reliant la Russie à la Crimée, une péninsule ukrainienne annexée en 2014.
D’importants dégâts ont été causés à la section routière de l’ouvrage, qui sert en particulier à acheminer du matériel militaire aux militaires russes combattant en Ukraine.
L’opération a été réalisée par les services secrets et les forces navales ukrainiens à l’aide de « drones navals », a raconté lundi à l’AFP une source au sein des services ukrainiens de sécurité (SBU).
Le Comité antiterroriste russe (NAK) a précisé dans un communiqué qu’elle avait eu lieu à 03H05 (00H05 GMT) et confirmé qu’elle avait été effectuée avec des « drones navals de surface ».
Deux civils, un homme et une femme qui circulaient en voiture, ont péri et leur fille a été blessée, a affirmé lundi le Comité d’enquête russe.
« Etant donné qu’il s’agit de la deuxième attaque terroriste sur le pont de Crimée, j’attends des propositions concrètes pour améliorer la sécurité de cette infrastructure de transport importante et stratégique », a réagi Vladimir Poutine.
« Il y aura bien sûr une réponse de la Russie. Le ministère de la Défense prépare des propositions appropriées », a-t-il assuré.
Sur Telegram, la chaîne de télévision publique Crimée-24 a diffusé une vidéo du pont montrant une portion de sa section routière effondrée.
Ce viaduc, long de 18 kilomètres, construit à grands frais sur ordre de M. Poutine et qu’il avait inauguré en 2018, consiste en deux ouvrages parallèles, l’un réservé à la circulation routière et l’autre au trafic ferroviaire.
La section ferroviaire n’a pas été endommagée et la circulation y a repris dans la matinée, ont annoncé les autorités de Crimée.
Des ferries permettant de traverser le détroit ont repris leurs rotations. Mais le gouverneur russe de la péninsule annexée, Sergueï Aksionov, a invité les touristes russes devant repartir en voiture à le faire via les territoires sous contrôle russe de l’est de l’Ukraine, dont certaines parties sont sous le feu de l’armée ukrainienne qui pilonne les voies de ravitaillement russes.
Le pont avait déjà été endommagé le 8 octobre dernier par une explosion attribuée par les autorités russes à un camion piégé par les services secrets ukrainiens. Il avait fallu des mois de travaux avant de le remettre pleinement en service.
Sur le front, l’armée ukrainienne décrit ces derniers jours des combats « intenses » entre ses unités engagées dans une contre-offensive et les soldats russes.
Lundi, le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, un ancien prisonnier politique en Russie qui s’est engagé pour défendre son pays, a révélé avoir été blessé dans la région de Zaporijjia (sud).
Enfin, un avion d’attaque au sol russe Su-25 s’est abîmé dans la mer d’Azov, toute proche, et son pilote est mort.