Depuis juin 2005, la césarienne est un acte médical gratuit dans les hôpitaux publics. Cependant, plusieurs années après son entrée en vigueur, l’application de cette décision semble poser problème. Qu’en est-t-il de la réalité de la gratuité de la césarienne ?
Mme B. Koné, logeuse de plusieurs filles aides ménagères, raconte : « Une nuit, aux environs de minuit, j’ai accompagné au Centre de Santé de Référence du quartier Mali, en Commune V, une fille aide-ménagère sur le point d’accoucher. Après nous avoir informés qu’une césarienne s’imposait urgemment pour sauver la mère et le bébé, les médecins nous ont prescrit une ordonnance, à notre grande surprise ».
« Je croyais que la césarienne était gratuite »
Dans l’entendement de Mme B. Koné, la césarienne était gratuite. « Je croyais que la césarienne était gratuite depuis la décision de 2005. En tout cas pour ce qui est des établissements sanitaires du secteur du public ». Ce jour-là, elle n’a pas la somme disponible pour payer l’ordonnance. Le médecin est clair : « pas d’opération sans ces médicaments ». Elle réussit à se débrouiller, et ajoute : « on a tout payé, avant, pendant et après la césarienne. »
Selon nos témoignages, tout porte à croire que Mme B. Koné n’est pas un cas isolé. F. Coulibaly, une résidente de la ville de Ségou, localité située à environ 240 kms de Bamako, ayant accouché par césarienne à l’Hôpital Nianakoro Fomba de Ségou, refuse de se prononcer sur la gratuité de cet acte médical, tant elle pense avoir trop dépensé. « Avant, pendant et après mon opération, j’ai pratiquement tout acheté. J’ai dépensé plus de 35 000 FCFA, dans les médicaments et autres examens médicaux, sans espoir d’être remboursée », a-t-elle indiqué. Et, sur la base de cela, elle nous a déclaré qu’elle ne pouvait rien dire sur la gratuité de la césarienne, étant entendu qu’elle a financièrement saigné pour bénéficier de cet acte médical dont la gratuité a été annoncée par les autorités. « J’ai même payé des frais de pansement de 500 FCFA, tous les trois jours jusqu’à ma guérison », s’est-t-elle offusquée.
Pour les professionnels de la santé interrogés, il y a une grande confusion sur la signification de la gratuité de la césarienne. « Dès qu’on pose le diagnostic de la césarienne, tout est gratuit, même après l’opération chirurgicale. Mais, la prise en charge du traitement des pathologies non liées à la césarienne relèvent de la compétence du malade », explique Nientao Djénéba, interne au Centre de Santé de Référence de Fana, localité située à environ 100 kms de Bamako. Notre interlocutrice salue la gratuité instaurée, pour avoir permis de faire baisser la mortalité maternelle et néonatale. Cependant, elle tient à préciser : « il peut arriver qu’il y ait pénurie de certains médicaments qui composent le kit de l’opération. Dans ce cas, l’usager ou ses parents sont sollicités pour les acheter dans une pharmacie ».
« Lorsqu’un médecin prescrit un produit qui n’est pas dans les kits de la prise en charge de la césarienne, il est tout à fait normal qu’il délivre une ordonnance à l’usager pour sa prise en charge correcte », a déclaré Dr Ntji Keita, médecin en Santé, Doits Sexuels et Reproductifs (SDSR). Après avoir indiqué que l’initiative de la prise en charge gratuite de la césarienne, est une subvention de l’Etat dédiée à la réduction de la mortalité et la morbidité maternelles et périnatales, il a rappelé que depuis2005, une commission composée de spécialistes a été mise en place, pour identifier une liste de médicaments pouvant permettre la prise en charge correcte de la césarienne. « Et, c’est sur la base du travail de cette Commission que l’Etat a déterminé les différents kits de prise en charge de la césarienne », a-t-il affirmé.
Un dispositif mal connu ?
Pour sa part, Dr Aminata Cissé, Directrice Générale Adjointe de l’Office National de Santé de la Reproduction, est on ne peut être plus clair. « Avant, pendant et après la césarienne, il y a des maladies qui peuvent survenir. S’il se trouve que le médicament contre ces maladies n’est pas dans les kits, vous convenez avec nous qu’il est tout à fait normal que le médecin prescrive une ordonnance à l’usager du service public de santé », a-t-elle déclaré. Sinon, selon elle, dès que le médecin confirme qu’il est nécessaire de faire la césarienne, tout est pris en charge gratuitement.
Dr Kassoumou Diarra, pharmacien, SDSR, pense que la grande confusion vient du fait que les médecins prescrivent des ordonnances à des usagers du service public pour la prise en charge des maladies qui surviennent avant ou après la césarienne. Il a précisé que la gratuité commence lorsque l’indication d’une césarienne est posée. « Les kits pour la gratuité de la césarienne ne prennent pas en compte les maladies qui surviennent avant, pendant et après la césarienne », a-t-il soutenu. Avant de dire qu’un effort de sensibilisation est en cours pour aider la population à comprendre le processus.
Pour corroborer ces différentes informations collectées, le point focal de la mise en œuvre de la gratuité de la césarienne, Dr Mamadou Bouaré, précise que dès l’instant où l’indication est posée par le personnel qualifié qui travaille au sein de la maternité, le guide conçu par la Direction nationale de la santé depuis l’année 2005 fixe les conditions de la prise en charge des cas de césarienne simples ou compliquées. Il a annoncé de même que les modalités de remboursement pour tous les établissements sanitaires du secteur public (CSREF, Hôpitaux de 2e référence ; les CHU et les services de santé de l’armée, y sont fixées.
Dr Mamadou Bouaré, édifie la population que, de toute évidence la gratuité de la césarienne est effective dans toutes les structures publiques du Mali et les services de l’armée. Selon lui, que vous soyez à Kayes ou à Tombouctou, voire Kidal, et Gao… vous bénéficiez de cette intervention sur indication et tous les frais liés à l’acte d’intervention de la césarienne, les examens préopératoires et l’hospitalisation sont rendus gratuits grâce à la subvention de l’Etat malien.
Dr Bouaré indique que les kits sont subventionnés par l’Etat qui les achète et les met à la disposition des différentes structures pour que les usagers puissent bénéficier de cette intervention sans rien payer du tout.
Mais, qu’à cela ne tienne, il estime qu’il y a souvent des éléments de kits qui peuvent manquer, à cause du retards dans l’approvisionnement. Poursuit-il, « s’il y a un élément des kits qui manque, qu’il s’agisse du produit et du consommable, le chef de service doit alors pouvoir gérer cela, soit sur la pharmacie hospitalière ou au niveau du district de santé ».
La césarienne est une intervention qui concerne essentiellement la mère et le fœtus, donc il s’agit d’abord de la grossesse. Pour être plus clair, il dira que parallèlement, il y a d’autres pathologies associées à cette césarienne comme c’est le cas assez souvent. « Cette pathologie doit donc être prise en charge séparément », a-t-il indiqué. Et, pour faire face à cela, il dira que les kits ont été révisés pour les adapter aux besoins non seulement des parturientes, mais également aux besoins des prestataires de service. « Et c’est pourquoi, on a décliné la composition des kits par types d’anesthésie », a-t-il déclaré. Avant de dire que, c’est essentiellement les complications qui arrivent au cours de la grossesse qui sont gérées par les compléments de kits.
En toute évidence les patients ne doivent rien payer
« La parturiente n’a rien à payer du tout. C’est vraiment l’Etat qui prend en charge la césarienne et à 100%, non seulement aux opérations préopératoires, mais aussi à l’intervention chirurgicale qui est la césarienne et même l’hospitalisation », a-t-il précisé.
Selon lui, pour concrétiser tout cela, ils ont fait une note technique au niveau de l’ONASER, à l’intention des autorités afin qu’elles s’impliquent personnellement pour l’approvisionnement correct des différentes structures sanitaires en kits. Mais également, il a annoncé que des missions de supervisions sont dépêchées sur le terrain. « Nous partons dans les structures pour voir ce qui se passe. Ces actions sont menées pour que cette gratuité soit effective à tous les niveaux des établissements sanitaires », a-t-il indiqué.
En ce qui concerne le coût de la césarienne pris en charge par l’Etat, il explique qu’il peut atteindre les 100 000 FCFA. « Quand vous prenez l’examen préopératoire, et vous y ajoutez les intrants de l’acte de l’intervention, plus l’hospitalisation, nous sommes à 80 000, voir 100 000 FCFA, si nous estimons de façon vraiment aléatoire, chaque entité peut prendre chacune 30000. Donc l’Etat peut prendre à hauteur de souhait jusqu’à 100 000 FCFA », explique-t-il.
Pour ce qui est des statistiques, il indique que pour l’année 2021, dans toute la République du Mali, ils ont réalisé jusqu’à 36 000 césariennes, soit un taux de 3,5%. « C’est vrai que ce taux est en deçà des attentes de l’OMS, des documents de politique, des normes et des procédures. Nous souhaiterons atteindre 5% tout au moins », a-t-il déclaré.
Pour une bonne compréhension de tous, selon lui ils mènent des actions concrètes au niveau des services publics. Mais qu’il est prévu l’élaboration d’un plan de communication qui puisse prendre en compte les masses médias et surtout parvenir à expliquer de façon détaillée la prise en charge gratuite de la césarienne aux uns et aux autres.
« La première des choses, c’est de donner la bonne information aux communautés, que les gens comprennent que la césarienne est une intervention chirurgicale par la voie haute et qui permet de sauver la vie, non seulement de la mère mais aussi de son nouveau-né. Voilà les aspects sur lesquels nous allons communiquer et surtout inciter les femmes à venir dans les centres de santé chaque fois qu’elles ont des retards de règles pour faire la consultation prénatale (CPN) », a-t-il conclu. Le constat est triste. Malgré une décision instituant la gratuité de la césarienne, nombreux sont les usagers des établissements publics hospitaliers qui continuent à débourser de l’argent pour ce service médical. Des maliennes et maliens continuent de payer des frais liés à la césarienne dans des formations sanitaires relevant du secteur public, alors que l’Etat a annoncé la gratuité.
Bintou Coulibaly