Dans une lettre ouverte datée du 17 mai 2023, l’ancien ministre Daba Diawara, président du RDA-Mali, fait savoir au président de la Transition que le décret convoquant le collège électoral pour le référendum du 18 juin 2023 est une violation des normes constitutionnelles.
Monsieur le président de la Transition, chef de l’Etat, suivant le décret n° 2023/PT-RM du 15 février 2023, vous avez convoqué le collège électoral pour le 18 juin 2023 aux fins d’un référendum sur le projet de Constitution devant abroger et remplacer la Constitution du 25 février 1992. Ce décret est l’aboutissement d’un processus de gestion solitaire du pouvoir émaillé de nombreuses violations des normes constitutionnelles dont mon parti, le Rassemblement démocratique africain-Mali (RDA-Mali) a voulu, par devoir patriotique, vous prémunir. Il a porté à votre très Haute attention qu’il estime, qu’en l’état actuel du droit positif, aucune disposition ni de la Charte de transition ni de la Constitution du 25 février 1992 n’ouvre une voie régulière et juridiquement fondée à l’établissement d’une nouvelle Constitution.
Aucune autorité de la Transition n’en a la compétence et aucune ne peut établir une procédure à cet effet. Mon parti vous a donc demandé de renoncer au projet d’élaboration d’une nouvelle Constitution. Loin de prêter une oreille quelque peu attentive à cette opinion, qui a été pourtant reprise et amplifiée par d’autres partis politiques et organisations de la société civile dont certains jouissent de votre entière confiance, vous avez, sans sourciller, poursuivi votre projet. Et, malheureusement vous nous avez donné raison puisqu’au terme d’une conduite solitaire d’un processus inédit, tous les actes posés jusqu’y compris le décret de convocation du collège électoral sont entachés de graves irrégularités et méconnaissent de manière flagrante des normes constitutionnelles”, pointe du doigt l’ancien ministre.
Un manque d’inclusivité criard
Daba Diawara a fait savoir que jamais, dans l’histoire politique du Mali, l’élaboration d’un projet de Constitution n’a été gérée de manière aussi peu inclusive.
“L’organe législatif de la Transition n’y a pris aucune part et le gouvernement, comme pour mettre à nu sa mise à l’écart, a organisé un séminaire pour permettre aux ministres de s’approprier le projet en vue du référendum. Le sort fait aux partis politiques et aux organisations de la société civile établit à suffisance le caractère non inclusif du processus. Le Premier ministre a même pris la liberté de demander aux partis politiques et aux associations désireuses de participer à la vulgarisation du projet de Constitution, de ne vulgariser que le seul et unique projet issu des travaux de la Commission de finalisation et validé par le président de la Transition, chef de l’Etat et de veiller à préserver les contenus des dispositions originales du projet de Constitution, de s’abstenir de toutes tentatives de modification du projet initial. Vous avez choisi de vous faire assister de deux commissions dont vous avez, seul, validé les résultats des travaux et décidé que c’est le texte qu’elles ont élaboré qui sera soumis au référendum.
Tous ceux qui ont participé à ces commissions, sauf erreur de notre part, l’ont fait à titre personnel, et ont été choisis par vous sur des bases et pour des raisons que vous êtes, peut-être, seul à connaitre.
Tous les actes qui ont encadré le processus d’élaboration du projet de Constitution sont entachés de graves irrégularités et méconnaissent de manière flagrante des normes constitutionnelles. Vous avez, en effet, pris quatre décrets. Deux décrets qui créent des commissions et deux qui en nomment les membres. Tous ont été pris en la forme de décret simple du président de la Transition. Aucun n’est contresigné par le Premier ministre et les ministres concernés. Ces décrets violent de manière grave et flagrante les articles 46, 55 et 51 de la Constitution”, croit savoir Daba Diawara.
Pour l’ancien ministre, le décret n°2022-0342/PT-RM du 10 juin 2022 portant création de la Commission de rédaction de la nouvelle Constitution, le décret n°2022-0777/PTRM du 19 décembre 2022 portant création d’une Commission chargée de la finalisation du projet de Constitution de la République du Mali et les décrets de nomination de membres desdites commissions sont entachés de graves et flagrantes irrégularités qui en font des actes juridiquement inexistants.
“Les irrégularités, dont ils sont entachés, sont particulièrement graves et flagrantes parce qu’elles sont constitutives d’une usurpation de pouvoir. Elles sont grossières et intolérables parce que touchant un domaine où le partage de compétence entre le président de la République et le Premier ministre est clairement établi par une longue pratique. La Charte de la transition maintient les dispositions de la Constitution du 25 février 1992 relatives à la détermination des domaines de la loi et du règlement ainsi qu’à l’organisation de l’exercice du pouvoir règlementaire. L’article 70 de la Constitution fixe le domaine de la loi et précise que la loi détermine les principes fondamentaux du régime électoral. L’article 73 de la Constitution dispose que ‘Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi, ont un caractère règlementaire’”, souligne-t-il.
Daba Diawara poursuit qu’aux termes de l’article 55 de la Constitution “le Premier ministre est le chef du gouvernement. Il assure l’exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l’article 46, il exerce le pouvoir règlementaire”. Il ajoute que ledit article 46 dispose : “Le président de la République signe les ordonnances et les décrets pris en Conseil des ministres. Il nomme aux emplois civils et militaires supérieurs déterminés la loi…” par cet article fixe donc le champ de compétence du président de la République dans l’exercice du pouvoir règlementaire. La Charte de la transition, même après sa modification, ne transfère au président de la Transition que les seuls pouvoirs et prérogatives conférés au président de la République par la Constitution du 25 février 1992.
“Ainsi, Monsieur le président, vous ne pouvez régulièrement participer à l’exercice du pouvoir règlementaire que dans les limites fixées par la Constitution du 25 février 1992. Ce qui fait que le respect de l’article 46 de la Constitution ne vous permet de signer que les ordonnances et les décrets pris en conseil des ministres. Et ces décrets sont obligatoirement contresignés par le Premier ministre et les ministres concernés. Vous conviendrez avec moi qu’aucun des décrets de création des commissions, de rédaction et de finalisation, n’a été pris en conseil des ministres. Et qu’aucune norme du droit positif ne vous permet de les prendre en la forme de décret simple du président de la Transition. Vous l’avez fait par usurpation de pouvoir et violé ainsi l’article 46 de la Constitution. Il en est de même des décrets de nomination des membres des deux commissions. Aucune loi ne vous donne compétence d’y procéder par décret simple alors que vous devez recevoir ce pouvoir d’une loi. La violation de l’article 46 est aggravée par celle non moins grave de l’article 51 de la Constitution. Parmi les actes juridiques que peut édicter le président de la République, dans l’exercice de ses fonctions, on distingue deux grandes catégories : ceux qui doivent, sous peine de nullité, être contresignés par le Premier ministre et ceux qui échappent à cette obligation. Cet article 51 vous fait obligation de faire contresigner par le Premier ministre et le cas échéant par les ministres concernés, vos actes, autres que ceux prévus aux articles 38, 41, 42, 45 et 50 de la Constitution. La création d’une Commission de rédaction d’une nouvelle Constitution ou d’une Commission de finalisation de la nouvelle Constitution ne figure pas parmi les actes dispensés du contreseing du Premier ministre. Les décrets que vous avez pris relativement aux deux commissions ne sont pas contresignés et comme tels, ils violent l’article 51 de la Constitution. La pratique institutionnelle les a fait relever de la seule compétence du Premier ministre. En 2016, le Comité d’experts pour la révision de la Constitution a été créé par un décret du Premier ministre (avril 2016) et en 2019, le Comité d’experts pour la révision (décret n°2016-0235/PMRM du 20 constitutionnelle), l’a été également par un décret du Premier ministre (décret n°2019-0015/PMRM du 14 janvier 2019). En faisant fi de cette pratique bien établie, vous avez accaparé sans droit un pouvoir que la Constitution donne au Premier ministre. Et cette violation de la Constitution est d’une particulière gravité parce qu’elle est l’œuvre de son gardien qui a juré, par deux fois, de la respecter et de la faire respecter. Il s’agit d’une faute intolérable parce qu’il est impensable que les juristes des autorités de Transition soient dans l’ignorance de l’article 51 de la Constitution du 25 février 1992”, soutient-il.
Une méconnaissance de la Constitution et la Charte
Aux dires de Daba Diawara, le décret de convocation du collège électoral pour un referendum sur un projet de Constitution de la République du Mali méconnaît gravement la Constitution et la Charte de la transition.
“La Charte de la transition, en date du 1er octobre 2020, maintient en vigueur la Constitution du 25 février 1992, donc l’ensemble des principes et règles d’organisation de l’Etat qu’elle a institués. Le référendum est une institution prévue par la Constitution en ses articles 26, 41 et l18. Aux termes desdits articles, ne peuvent être soumis au référendum qu’une question d’intérêt national, un projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, comportant l’approbation d’un accord d’union ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions (article 41) et un projet ou une proposition de loi de révision de la Constitution voté par l’Assemblée nationale (art.I18). Pour les matières visées à l’article 41, il est institué une procédure particulière : Le président de la République ne peut soumettre au référendum qu’un projet qui lui a été proposé par le gouvernement ou l’Assemblée nationale et sur lequel la Cour constitutionnelle a donné un avis qui a été publié au Journal officiel. Aucune autre disposition de la Constitution ne prévoit le recours au référendum. Ainsi, un référendum ne peut être régulièrement organisé que pour la mise en œuvre des articles 41 et 118 de la Constitution. Il est patent que le décret qui convoque le corps électoral pour le référendum du 18 juin 2023 n’est ni celui prévu par l’article 41 ni celui prévu par l’article 118. Qu’ainsi, il méconnait gravement la Constitution du 25 février 1992. La Charte de la transition en date du 1er octobre 2020 qui complète la Constitution ne comporte aucune disposition qui modifie ce qui est prévu par la Constitution relativement au referendum.
La loi n2022-001 du 25 février 2022 portant révision de la Charte de la transition insère dans le préambule de la Charte un avant-dernier alinéa ainsi libellé : «Considérant les recommandations des Assises nationales de la Refondation de l’Etat des 27, 28, 29 et 30 décembre 2021». Elle ajoute aux missions de la Transition “le redressement de l’Etat et la création des conditions de base pour sa refondation, la promotion de la bonne gouvernance, les reformes politiques, institutionnelles, électorales et administratives et la mise en œuvre efficiente des recommandations des Assises nationales de la Refondation Elle n’institue pas cependant de référendum et n’indique point parmi les matières citées ci-dessus, celles sur lesquelles aurait pu porter un référendum alors même que ces mesures incombent au constituant et doivent trouver place dans la norme juridique suprême de l’Etat. Et, même à cela, le maintien en vigueur de la Constitution de 1992 fait obstacle. Ainsi, la Charte de la transition, tout comme la Constitution, n’autorise pas le président de la Transition à convoquer le collège électoral pour un référendum. Et encore moins, un référendum sur un texte dont l’objet est l’établissement d’une nouvelle Constitution. Au regard des normes constitutionnelles, il ne peut être régulièrement organisé de référendum sur un texte dont l’objet est une modification de la Constitution que sur la base des articles 41 et 118 de la Constitution. Lesdits articles instituent des procédures et des conditions particulières de mise en œuvre. Il est patent qu’au regard de la procédure d’élaboration du projet de Constitution devant être soumis au referendum du 18 juin 2023, vous avez choisi d’agir en dehors desdits articles 41 et 118. C’est à tort que vous avez cru tenir ce pouvoir de la loi n°2022-001 du 25 février 2022 portant révision de la Charte de la transition. Dès lors vous avez fait une mauvaise interprétation des articles modificatifs de la Charte en estimant qu’ils étaient suffisants à vous donner le droit d’élaborer une nouvelle Constitution et de la faire adopter par voie de référendum. Et dans un pays respectueux de l’Etat de droit et ayant une justice digne de ce nom, votre décret encourt l’annulation. Voilà les raisons qui motivent notre demande à vous faite de renoncer à votre projet d’établissement d’une nouvelle Constitution. Vous n’en avez pas le droit mais vous en avez les moyens. Mais, Monsieur le président, je suis sûr que vous saurez résister aux thuriféraires d’occasion qui veulent vous conduire à la faute”, a-t-il prévenu.
La nouvelle Constitution
n’est pas la panacée
Daba Diawara invite le président de la Transition à renoncer au projet de Constitution pour son honneur d’officier et le serment qu’il a, par deux fois, prêté de respecter et de faire respecter la Constitution. Pour lui, le projet de Constitution n’est point le passage obligé pour le retour à l’ordre démocratique dont le plus court chemin est l’application de la Constitution du 25 février 1992 et de la loi électorale. “L’opinion publique nationale et internationale saura certainement juger de la pertinence de notre demande à la lumière de notre argumentaire”, dit-il.
Siaka Doumbia