Les autorités de la transition ont consacré la journée du 14 janvier à la souveraineté retrouvée du Mali. Cet acte qui ne repose sur aucun acte concret est aux antipodes du combat de Modibo Keita et de Kwamé Krumah. Qui ne se rappelle pas du titre de ce chef d’œuvre de l’ancien Président Ghanéen Kwamé Krumah « L’Afrique doit s’unir ». A-t-on besoin de rappeler cette célèbre et emblématique phrase de l’ancien Président malien Modibo Keita, à savoir que le Mali est prêt à renoncer à une partie ou à toute sa souveraineté pour la réalisation de l’Unité Africaine. Leurs contemporains, pour avoir mobilisé « 4 millions de maliens un 14 janvier 2022 » contre les sanctions de la CEDEAO et de l’UEMOA, consacrent une journée à la souveraineté retrouvée. Cette commémoration est sans nul doute aux antipodes du vœu cher aux pères des indépendances qui n’ont exprimé qu’un seul souhait, la réalisation de l’Union africaine, voire des Etats Unis d’Afrique, pour constituer un front contre l’impérialisme, le néocolonialisme et formé un marché commun pour peser sur la balance commerciale mondiale. Ce vœu est-il en train d’aller à vau-l’eau au Mali ? Peut-on parler de souveraineté dans un pays où les 2 /3 échappent au contrôle de l’Etat central ? Il Y’a-t-il un consensus national autour de cette date ?
Le président de la Transition, le Colonel Assimi Goïta lors de la session du conseil des ministres du 30 novembre 2022, a institutionnalisé le 14 janvier comme étant la « Journée nationale de la souveraineté retrouvée ». Cette journée Faut-il le rappeler a été celle de la mémorable mobilisation du peuple malien au dedans comme au dehors pour dire non aux sanctions « injustes, illégales, illégitimes et inhumaines » de la CEDEAO et de l’UEMOA contre le Mali. C’est en souvenir à ce grand rassemblement que le Gouvernement a baptisé le 14 janvier journée de la souveraineté retrouvée. Si cette initiative a été chaleureusement accueillie par certains, elle ne manque pas non plus de susciter l’incompréhension, voire l’indignation chez d’autres parmi lesquels les panafricanistes invétérés et les adeptes de la paix, de la sécurité et surtout d’un vaste ensemble sous régional et régional permettant aux Etats balkanisés de l’Afrique de se reconstituer pour être présents au concert des nations. Au 21ième siècle certains concepts sont désuets et contre productifs dans un monde globalisé où les frontières ne sont plus infranchissables et où les intérêts sont interdépendants et indissociables.
Ne faudrait-il pas se poser la question de savoir si le gouvernement malien ne se trompe pas de combat en voyant en la CEDEAO un ennemi.
Il est à rappeler que c’est sous le Général Président Moussa Traoré que la CEDEAO a été créée en 1975. Depuis lors l’organisation sous régionale a fait son petit bonhomme de chemin avec des hauts et des bas. Elle est considérée aujourd’hui comme l’une des organisations sous régionales les mieux structurées en Afrique et même dans le monde. Malgré les défaillances et autres manquements aux principes, la CEDEAO a fait des bonds qualitatifs qu’ils soient en termes d’intégration qu’en celui de la mutualisation des efforts pour aboutir à un espace commun, avec des tarifs douaniers unifiés. Surtout qu’il est prévu plus tard la création d’une monnaie unique au grand bonheur des peuples. Qu’il soit dit en passant, aucun pays ne peut vivre en autarcie, même les Etats Unis, la première puissance du monde. Au 21ième siècle l’on doit plutôt être fier d’appartenir à un vaste ensemble que de s’isoler. Le Mali, en instituant le 14 janvier comme journée de la souveraineté, mettra en mal, ses relations avec les autres pays de la CEDEAO. Il entretiendra la brouille diplomatique et liguera les autres contre lui, au moment où il a le plus besoin du soutien de ses voisins.
Peut-on parler de souveraineté dans un pays où les 2 /3 échappent au contrôle de l’Etat central ?
La souveraineté désigne l’exercice du pouvoir sur une zone géographique et sur la population qui l’occupe. La question simple que l’on doit se poser est celle de savoir si le gouvernement du Mali déroule l’entièreté de son autorité sur toute l’étendue du territoire national. La réponse est sans nul doute non. Peut-on parler de souveraineté quand les maliens dans leur écrasante majorité broient du noir car n’arrivant pas à assurer deux bons repas par jour. La sécurité alimentaire est loin d’être garantie. Doit-on parler de souveraineté quand le budget national est déficitaire à plus de 700 milliards et que le complément fasse l’objet d’aide budgétaire.
En somme, s’il faut reconnaitre que ces épreuves ont permis aux maliens d’avoir une grande capacité de résilience et de retrouver une certaine fierté légendaire, voire la dignité, il n’en demeure pas moins que le choix du bourreau, à savoir la CEDEAO, pose problème, car tous les pays de la CEDEAO ont un destin commun et ils sont condamnés à cheminer ensemble s’ils veulent résister à la tentation vorace voire l’invasion des autres regroupements, voire puissances.
Youssouf Sissoko