Les responsabilités ont changé depuis le 2 avril dernier, mais la communication d’Ousmane Sonko reste pratiquement la même. L’actuel Premier ministre, souvent clivant avec une posture belliqueuse, n’hésite jamais à attaquer et à cogner ses détracteurs, quitte à faire l’objet de vives critiques. Le mentor du Président Bassirou Diomaye Faye est même accusé d’être un trop bavard.
Chasser le naturel, il revient au galop. Ousmane Sonko, tonitruant ex-opposant au régime de Macky Sall a gardé sa posture avec à la clef une communication agressive. Ce, malgré sa nomination à la tête du gouvernement suite à la belle victoire du 24 mars. Durant les cent jours écoulés du chef de l’Etat, Bassirou Diomaye Faye, le leader de Pastef ne rate presque jamais l’occasion pour tirer sur tout et le plus souvent avec des propos qui frisent le dérapage. Il crée la polémique et s’attire les foudres.
Par exemple, lors d’une conférence co-animée, le 16 mai, à l’Ucad avec le fondateur de La France insoumise (Lfi), Jean-Luc Mélenchon, il a estimé que l’homosexualité, réprimée par la loi, est « tolérée et gérée » au Sénégal. « Si le phénomène n’est pas accepté au Sénégal, il est toléré et le plus grand danger que peuvent encourir les membres de cette communauté, c’est la propagande qu’on veut nous imposer parce que depuis l’aube des temps, les sociétés ont vécu avec ces phénomènes et il n’y a jamais eu de persécution ni ici au Sénégal ni nulle part en Afrique. Chaque peuple a connu ces comportements jusqu’à leur trouver des concordances sémantiques. Ici au Sénégal, on dit ‘gorjigen’. Nous l’avons géré et nous continuons à le gérer à notre façon et selon nos réalités socio-culturelles. Pour ces considérations, nous appelons pour une fois le monde occidental au respect, à la réciprocité et à la tolérance. Nous aussi avons notre mode de vie. Un mode de vie ne peut pas être uniforme, ni universel. Ils doivent souffrir de quelques exceptions çà et là. Sur ce phénomène, le Sénégal et beaucoup de pays africains ne peuvent accepter une quelconque velléité de leur exiger la légalisation de ce phénomène », a ainsi déclaré le patron de Pastef, suscitant une vague de réactions. Lesquelles réactions ont d’ailleurs valu à l’activiste « républicain » Bah Dakhaté et au prêcheur Cheikh Tidiane Ndao, leur arrestation et leur condamnation.
Le 11 juin, le Premier ministre s’est, cette fois, défoulé sur la presse avec des propos jugés menaçants. « On ne va plus permettre que des médias écrivent ce qu’ils veulent sur des personnes, au nom d’une soi-disant liberté de la presse, sans aucune source fiable », a déclaré M. Sonko devant les jeunes Grand Théâtre de Dakar. Il a aussi mis au défi les médias de publier à nouveau des articles le liant à la mutation à New Delhi, en Inde, du général Souleymane Kandé. Il a rappelé que deux journalistes avaient été interrogés par la gendarmerie pour de tels articles. « Je dis, s’ils osent ou s’ils ont l’audace, qu’ils écrivent ce qu’ils avaient écrit », a encore prévenu le chef du gouvernement. Une charge virulente fortement décriée par les associations des médias et une bonne partie de la classe politique.
« Cette presse t’a tiré des griffes de Macky Sall en mars 2021, aujourd’hui tu veux la liquider ? », a répliqué dans un communiqué l’homme politique et patron du groupe D-Media, Bougane Guèye, faisant référence aux trois années de bras de fer livré par M. Sonko à l’ancien président Sall de 2021 à 2024.
Pour sa part, Maguette Ndong, porte-parole du Synpics, syndicat de professionnels de l’information, s’est dit surpris des « menaces » proférées par le Premier ministre.
«Vous n’êtes plus dans l’opposition, mais dans la position d’apporter des réponses rassurantes et démocratiques», a embrayé Birahim Seck, coordonnateur du Forum civil.
Les « vrais magistrats » et la Dgp en dehors de l’Assemblée nationale
La magistrature n’a pas été épargnée à cette occasion. « Une fois qu’on aura fini de donner un coup de balai (dans la justice) et qu’on aura nommé de vrais magistrats, des magistrats honnêtes, on fera ce qu’il faut avec les dossiers des gens qui ont détourné l’argent du pays », a également menacé M. Sonko, qui avait nommément accusé le président du Conseil constitutionnel, Mamadou Badio Camara, de corrompu. Cette sortie, selon « Les Échos », a suscité l’ire de certains magistrats, qui n’ont pas manqué de hausser le ton. « La prochaine fois qu’il aura la même attitude que celle qu’il a eue pour traiter les magistrats comme des moins que rien, certains n’hésiteront pas à répondre », a écrit le journal, qui a cité des sources anonymes.
Quelques jours plus tard, Ousmane Sonko revient à la charge ; cette fois-ci, il charge les députés. En effet, si, dans le principe, il n’est pas obligé de faire sa Déclaration de politique générale dans les 90 jours à cause d’un règlement intérieur défaillant, il doit la faire tout de même, comme l’exige la Constitution (articles 55 et 86). Alors, le 28 juin, répondant au député Guy Marius Sagna, qui lui demandait de ne pas venir à l’hémicycle, M. Sonko ouvre les hostilités contre, notamment, Benno bokk yaakaar (Bby) qui est majoritaire à l’Assemblée nationale. Il conditionne la présentation de sa Dpg à la restauration dans le Règlement intérieur de l’institution parlementaire de dispositions liées au poste de Premier ministre, dispositions qui avaient été enlevées en 2019 avec la suppression du poste. Mais aussi, il menace de tenir sa Dpg hors de cette tribune. Mais c’est sans compter avec la détermination de Bby qui a répliqué par une annulation du Débat d’orientation budgétaire et qui envisage d’enclencher une réforme pour empêcher le président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale. Des médiateurs sont entrés en scène pour éviter une crise politique et institutionnelle. Finalement, des députés du Pds ont initié une proposition de loi visant à corriger cette « carence ».
Autant de sorties polémiques en un temps record, qui poussent certains observateurs à se demander si l’actuel chef du gouvernement n’est pas un peu trop bavard.