Le gouvernement malien s’est engagé en octobre à rembourser 200 milliards de francs CFA de dette intérieure. Des messages largement diffusés par des internautes anglophones mi-novembre et relayés en français sur Facebook, notamment en Afrique de l’Ouest, affirment que le pays n’aurait désormais plus du tout de dette. Cette affirmation est propagée par des partisans du régime militaire malien, au pouvoir depuis le coup d’Etat de 2021. Mais le message viral est faux: le pays dirigé par Assimi Goïta possède encore une lourde dette publique, qu’il s’efforce en effet de rembourser.
« Le Mali est désormais un pays sans dette« , affirme en anglais l’auteur d’une publication partagée plus de 7.000 fois sur le réseau social X depuis début novembre (archivée ici). D’autres posts (archivés ici et ici) répandent la nouvelle selon laquelle le Mali serait le premier pays africain à se déclarer sans dette publique. Ce même message est repris sur Facebook et YouTube par des internautes francophones.
Capture d’écran d’une publication Facebook, réalisée le 29 novembre 2024
L’affirmation virale suscite l’admiration des internautes envers le régime transitoire du général Assimi Goïta. « Magnifique ! » s’exclame par exemple l’un d’eux. « Lorsque vous avez un leader déterminé, tout est possible », réagit un autre. « Le Général d’Armée Assimi Goïta a prouvé à tous les autres pays africains et à leurs marionnettes, que nous pouvons être autonomes dans nos propres ressources plutôt que d’emprunter« , indique un dernier.
Plus de 6.500 milliards de francs CFA de dettes
Mais la nouvelle qui circule sur l’apurement total de la dette du Mali est fausse.
Les véritables chiffres sur la dette sont consultables dans le Projet de loi des finances (PLF) pour 2025 (lien archivé ici) du Mali, le document officiel qui présente les prévisions de dépenses et de recettes en vue d’établir le budget du pays pour l’année 2025. On y trouve à plusieurs reprises des données sur le montant de la dette du Mali, montrant qu’elle est loin d’être nulle.
Ainsi, le projet de loi, adopté en conseil de ministres le 18 septembre 2024, indique page 346 que « le stock de la dette publique du Mali fin 2023 (était) estimé à 6.586,8 milliards de FCFA ».
Capture d’écran de la page 347 du projet de loi des finances du Mali pour 2025, réalisée le 29 novembre 2024
Plus loin, p.409, le document estime que « l’encours total » de la dette publique « s’élèvera au 31 décembre 2024 à 6.731,6 milliards de FCFA » (environ 10,3 milliards d’euros). Elle devrait à cette date se diviser entre une dette intérieure de 3.813,0 milliards de francs CFA (56,6 % de la dette) et une dette extérieure de 2.918,6 milliards de francs CFA (43,4 % de la dette).
En économie, le montant absolu de la dette est une donnée intéressante, mais il est souvent plus parlant de regarder le taux d’endettement du pays, c’est-à-dire ce que le montant de cette dette représente par rapport à la richesse produite chaque année par le pays (PIB).
Cette donnée est aussi disponible dans le PLF 2025 du Mali (p.347) : la dette publique représentait en 2023 près de 50,9% de la richesse produite par le pays. En 2024, le taux d’endettement devrait même légèrement augmenter, à 51,6% du PIB, puis baisser à 50,6% en 2025, est-il précisé.
De nombreux remboursements à honorer dans de courts délais
Le Mali est donc loin d’être un « pays sans dette », comme l’affirment certaines publications. Un tableau issu du PLF (p.413) montre au contraire que les dettes du Mali courent pour le moment jusqu’à 2044.
Capture d’écran de la page 413 du projet de loi des finances du Mali pour 2025, réalisée le 29 novembre 2024
Rien qu’en 2025, l’amortissement de la dette coûtera au Mali 918,4 milliards de francs CFA, estime p.24 et p.29 le PLF, essentiellement pour rembourser une partie de sa dette intérieure qui lui coûte très cher en intérêts. Selon cette même source (p.413), le pays devra régler une grande partie (80%) de cette dette intérieure dans un délai relativement court de 5 ans.
« Le gouvernement malien accumule des arriérés importants sur sa dette interne, ce qui est un très mauvais indicateur », constate Emilie Laffiteau, économiste spécialiste de l’Afrique sub-saharienne. « Ces retards nuisent gravement à l’économie locale, notamment en fragilisant le secteur privé », a-t-elle indiqué à l’AFP, ajoutant que « prioriser le remboursement de la dette intérieure est essentiel pour relancer l’économie nationale ».
Dans une annonce du ministre malien de l’Economie le 18 octobre, diffusée à la télévision nationale, le gouvernement malien s’est engagé à débloquer 200 milliards de francs CFA d’ici la fin de l’année en cours pour éponger sa dette intérieure (lien archivé ici, voir dès 17’44”).
« Nous comptons engager à peu près 200 milliards pour vraiment réduire de façon très très significative et exceptionnelle le niveau de la dette intérieure », a déclaré Alousséni Sanou, ministre de l’Economie et des Finances, face à des chefs d’entreprises établies au Mali.
Depuis le coup d’État de 2021, le Mali s’inscrit dans un nouveau contexte géopolitique. Les militaires au pouvoir dans le pays, tout comme les juntes au Burkina Faso et au Niger voisins, ont choisi de tourner le dos à la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), une organisation qu’ils jugent instrumentalisée par la France, ex-puissance coloniale avec laquelle ils ont multiplié les actes de rupture.
L’allégation virale qui prétend que le « Mali est sans dette » favorise « un discours souverainiste courant » selon lequel « le pays n’a besoin de personne », décrypte Emilie Laffiteau. « Mais cela ne reflète pas une réalité économique solide ».
Par ailleurs, être un pays sans aucune dette « serait une catastrophe » car « la dette publique est un outil fondamental pour financer le développement et les investissements nécessaires », explique l’économiste.
« Au contraire, être capable d’attirer des financements extérieurs est un indicateur clé de bonne santé économique », estime-t-elle, soulignant cependant que le Mali – dont la dette extérieure est majoritairement détenue par des organismes internationaux (Banque mondiale via l’IDA à 49,0% et Fonds Africain de Développement à 16,3 %) – peinait à se financer auprès de banques internationales, “car elles ne font pas confiance au pays”.
Selon l’économiste malien Modibo Makalou, la dette publique malienne « finance essentiellement le déficit budgétaire » de l’Etat face aux « défis conjoncturels » et « structurels » qui ont frappé le pays. Celui-ci a en effet traversé une grave crise énergétique et a souffert de « l’augmentation des taux d’intérêt » décidée par la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) « pour lutter contre l’inflation », explique-t-il.
Concrètement, la dette a servi à éponger « le budget de fonctionnement et d’investissement de l’Etat », ainsi qu’à financer « des projets de développements », résume Modibo Makalou, confirmant comme Emilie Laffiteau l’intérêt d’avoir recours à la dette, tant que celle-ci n’atteint pas des niveaux trop élevés.
En 2025, la charge financière de la dette malienne – c’est-à-dire les intérêts que le pays devra payer à ses créanciers, en plus du remboursement du capital emprunté – est évalué selon le PLF (p.14) à 214,5 milliards de francs CFA, dont 80% sont liées à la dette intérieure.
Malgré une lourde dette intérieure, « la dette extérieure du Mali reste relativement faible », estime Madibo Makalou, et le pays dispose encore d’une certaine marge pour faire face aux crises internes et externes. Selon la Banque mondiale, la dette publique du Mali est en effet classée à un risque modéré de crise, bien que les vulnérabilités aient augmenté (lien archivé ici).
L’allégation qui circule sur les réseaux sociaux est donc fausse. Le Mali est bel et bien endetté, même si ses créances extérieures sont jugées modérées par la Banque mondiale et que le gouvernement doit rembourser rapidement une grande partie de sa dette intérieure, qui arrive bientôt à échéance.