Mariage mixte : Quand l’amour enjambe les barrières raciales

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Épouser un Blanc ou une Blanche dans notre pays est une course à obstacles. Il faut faire fi du «qu’en dira-t-on» et la sourde oreille aux commentaires désobligeants. Les mauvaises langues accusent très souvent le partenaire noir d’être attiré par la fortune de la femme blanche ou de l’homme blanc. Une dizaine de ces couples mixtes ont choisi de vivre à Siby situé à près de 50 kilomètres au sud-ouest de Bamako. Ce choix n’est pas un hasard puisque cette localité propose aux visiteurs plusieurs sites touristiques comme l’Arche de Kamadjan.

Samedi 10 février 2024, notre équipe de reportage est allée à la rencontre de ces couples mixtes. C’est ce même jour de la semaine que la ville grouille et bourdonne au rythme de son marché hebdomadaire. Sur le site de l’Arche de Kamadjan, Amadou (nom d’emprunt) accepte de nous recevoir dans une auberge située à cinq minutes de route de son domicile. Le quinquagénaire est marié à une Belge quadragénaire depuis trois ans. En décembre dernier, elle est rentrée en Belgique. Le couple n’a pas d’enfant. «J’ai rencontré ma femme Angélina en 2019 et nous sommes mariés un an après. Avec cette femme fantastique, je vis dans le bonheur», se félicite-t-il. Et d’expliquer que sa femme a reçu une bonne éducation et respecte sa belle-famille.

Amadou dit aimer sincèrement sa femme sans aucun intérêt pécuniaire. «Pour beaucoup de nos compatriotes, on se marie à une Blanche pour profiter de sa richesse. Je démens catégoriquement cette idée car j’aime ma femme», assure-t-il, sans hésiter de louer la bonne relation entre son épouse et ses amis ainsi que son entourage. «Mais, ce que je ne comprends pas, depuis que je me suis marié à cette femme, beaucoup de proches me disent que je suis maintenant riche», s’étonne-t-il. Et de conseiller qu’il est grand temps que nos mentalités changent à ce sujet, car dans la vie tout n’est pas une question d’argent.

Autre valeur de son épouse, cite-t-il, c’est son désir d’éviter des dépenses inutiles. «Nous avons mis en place une cagnotte dans laquelle nous mettons de l’argent chaque jour. Cette cagnotte sert au paiement des factures, à l’achat du gaz, etc., indique Amadou dont l’épouse belge s’est convertie à l’islam. «Elle pratique mieux l’islam que moi», sourit-il, avant de préciser qu’Angélina sait préparer des plats maliens mais ignorer qu’on prépare tous les jours. «Elle ne me fait pas de pression. Si je rentre tard à la maison, elle me comprend parfaitement. C’est un mariage qui m’a métamorphosé et je suis heureux avec cette femme qui me comble à tous les niveaux», confie Amadou qui dit avoir été invité à plusieurs reprises par sa belle-famille à se rendre en Belgique. L’année prochaine, il promet de faire tout pour répondre à leur invitation.

CONVERSION À L’ISLAM- Mme Garnier Bintou Sinamba, secrétaire à la mairie de Siby, est également mariée à un Blanc septuagénaire. Elle a rencontré son mari, Paul Garnier, en 2005. «C’était un dimanche quand je revenais d’un mariage. À un ami commun, un Ivoirien. Il m’a vu chez lui quand je faisais du thé. Quelques jours après, mon ami est venu m’annoncer sa déclaration de mariage», se souvient la quadragénaire qui dit avoir rejeté la demande en mariage dans un premier temps. «À l’époque, je sortais d’un mariage très difficile», se souvient-elle. Et d’affirmer que c’était un homme vraiment courageux et déterminé à l’épouser. «C’est un homme fantastique, compréhensif et qui m’assiste dans tout», apprécie Bintou.

Quand elle a accepté d’épouser le Blanc, elle a dit avoir fait face à l’opposition de sa famille. «Ma famille n’était pas d’accord avec ce mariage car mon mari Paul était vraiment plus âgé que moi d’où l’inquiétude de ma mère. Mais je l’ai rassurée que si c’était dans mon destin d’être la femme d’un homme âgé personne ne pourrait l’empêcher. Après nous avons célébré le mariage traditionnel en 2006 et civil en 2009», raconte Mme Garnier.

Elle explique que depuis 2013, son conjoint, pour un souci de santé, est rentré définitivement en France. Chaque année, il rend visite à sa femme et son fils Tiorno Paul Garnier. «J’entretiens une bonne relation avec ses autres fils ainsi que sa famille en France où je suis partie en 2012 et 2018. Mais je préfère vivre dans mon pays. J’aime le Mali mais s’il souhaite qu’on le rejoigne, je demandeai une permission d’absence de mon service ainsi qu’à l’école de mon fils», explique Bintou, ajoutant que son partenaire lui donne la liberté de faire tout ce qu’elle veut.

Selon le maire de Siby, Daouda Keïta, la présence des couples mixtes participe au développement de sa commune à travers la création d’emplois. «Je leur souhaite beaucoup de bonheur et d’entente dans leurs couples», prie l’édile.

Michel Lévy et Alima Touré vivent au quartier Hippodrome en Commune II du District de Bamako. Ils ont une fille. Michel Lévy est propriétaire d’un hôtel de la place. Il réside au Mali depuis 2008. «J’ai rencontré Alima Touré en 2011, qui était l’une des femmes de chambre de mon hôtel. C’était une jeune fille calme, sérieuse et surtout qui venait à l’heure pour faire son travail», confie l’homme d’affaires qui était devenu célibataire après le divorce de son épouse. En 2014, sa relation avec Alima Touré devient officielle. «Maintenant, c’est elle qui cordonne tout à l’hôtel et je l’aime comme un fou. Elle me rend heureux et épanoui», avoue le quinquagénaire en compagnie de son épouse dans leur salon.

JUGEMENTS INUTILES – Native de Tombouctou, elle assure que son époux est le meilleur mari de la terre, charmant, pieux et disponible pour sa famille. «Grâce à l’amour qu’il a pour moi, il s’est converti à l’islam en 2013. Chaque vendredi, il va à la mosquée et il prie quotidiennement, je suis à l’aise dans mon foyer et chaque jour je remercie Dieu de m’avoir donné un homme aussi bon», se réjouit Alima Touré qui affirme que sa belle-famille et elle s’entendent bien, y compris les enfants de son époux. «Que chercher de plus dans cette vie», souligne le trentenaire.

Jointe au téléphone, la belle-mère de Lévy Alima Touré résidant à Lille en France, se dit fièrement de sa belle-fille. «C’est une fille bien élevée, douce et surtout respectueuse. Au début, je pensais qu’elle s’était mariée avec mon fils pour son argent. Mais quand elle est venue en France en 2018, j’ai fait mes enquêtes et j’ai compris qu’elle l’aime beaucoup», déclare Denise Lévy, avant de souhaiter beaucoup de bonheur et la naissance d’au moins trois enfants dans leur foyer.

Le sociologue Modibo Touré explique que l’accompagnement et le soutien des deux conjoints sont nécessaires pour la réussite du couple mixte. «Maintenant, il y a beaucoup de couples mixtes dans notre société. Souvent ces couples ne sont pas à l’abri des préjugés et des jugements inutiles. Il faut que les deux partenaires puissent être bien préparés moralement pour faire face aux préjugés», déclare-t-il. Le sociologue affirme que ce type d’union pose plus de problèmes que le mariage homogame. « Les terrains conflictuels existants, mais l’aventure est d’autant plus exaltante.

Elle exige de chaque conjoint une rationalisation sans cesse renouvelée des difficultés inhérentes à la vie de chaque couple», explique Modibo Touré. Et de ce point de vue, dit-il, le mariage mixte, quand il résiste au temps, est une réussite supérieure à la moyenne. En tout cas, prévient le sociologue, il suppose une maturité psychologique particulièrement développée.
Dans tous les cas, insiste le sociologue, il faut une préparation adéquate des époux au mariage. Il s’agit, selon lui, d’instaurer un dialogue approfondi entre époux autour des problèmes à venir et qui aura une chance de se poursuivre tout au long de la vie du couple. Par exemple, citons Modibo Touré, la question de l’éducation religieuse des enfants devrait être abordée entre les époux dès qu’il y a un projet de mariage. C’est la question, souligne-t-il, qui est la source des tensions les plus fortes dans le couple. « Le mariage mixte n’est pas seulement une affaire entre deux familles, mais engage deux communautés, sauf si les deux époux appartiennent à la même religion, il n’y a pas de soucis. Mais s’ils n’ont pas la même religion, conseille le spécialiste, il faut réciproquement un dialogue entre les responsables des deux communautés. Ce qui peut-être un recours précieux au moment des tensions et des crises.

Djénéba BAGAYOGO

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