Nouvelle constitution pour le Mali Kura : De quoi la classe politique a-t-elle si peur ?

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Le référendum constitutionnel est prévu le 19 mars 2023 afin de permettre aux Maliens de se prononcer sur un projet de nouvelle constitution visant à davantage de décentralisation et asseoir une gouvernance solide axée sur des institutions solides. Mais, à quelques semaines de cette échéance, des acteurs politiques ont souhaité que le président Assimi Goïta renonce à son initiative de doter le Mali de cette constitution à la hauteur des défis d’aujourd’hui et de demain. De quoi ont-ils réellement peur ?

«De quoi vos politiciens ont-ils peur par rapport à l’élaboration d’une nouvelle constitution par les autorités de la Transition» ? C’est la question que nous a posée récemment une personnalité de la République. Elle faisait allusion aux communiqués publiés ces derniers jours par des états-majors politiques et d’autres organisations politiques pour exiger l’abandon du projet de nouvelle constitution et surtout leur décision de boycotter la rencontre (12 janvier 2023) avec le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation autour des enjeux des réformes en cours, notamment l’organisation du scrutin référendaire.

Ainsi, des politiciens optent pour la politique de la chaise vide au moment où des organismes comme l’Observatoire citoyen sur la gouvernance et la sécurité (OCGS) exhortent les autorités de transition à privilégier le dialogue avec les forces vives de la nation pour plus d’inclusivité autour des réformes envisagées, notamment afin de faire de la gouvernance vertueuse la charpente du Mali Kura.

Il est regrettable que des chapelles respectables comme le parti Forces Alternatives pour le Renouveau et l’Émergence (FARE AN KA WULI) soient encore là à se poser des questions sur l’opportunité d’élaborer une nouvelle constitution. Pourquoi une nouvelle constitution ici et maintenant ?  Quelles sont les motivations réelles à rédiger une nouvelle constitution ? Quelle vision politique sous-tend cette démarche et pour quels objectifs ?  Les autorités de la Transition sont-elles fondées à réviser la constitution dans le même schéma des trois tentatives passées, à fortiori rédiger une nouvelle constitution d’autant plus que celle de 1992 ne prévoit aucune disposition relative à sa dissolution par une nouvelle ?

Des questions qui ont retenu notre attention dans le communiqué des Fare An Ka Wuli (nous nous référons à cette formation parce que c’est l’une des plus crédibles et des plus respectables du pays). Et c’est le plein droit du parti de dire qu’il n’a pas «reçu de réponses concrètes à ces préoccupations légitimes». Mais nous pensons qu’il cède à la démagogie en disant que celles-ci (ses préoccupations) sont également «celles d’une frange non négligeable de nos compatriotes».

Certes, le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) n’a pas été bien inspiré de ne pas suspendre la constitution de 1992 à sa prise de pouvoir le 18 août 2020. Mais cela n’est plus une raison objective pour bloquer la refondation de l’Etat à travers des réformes dont la pertinence est reconnue par la grande majorité de la population. Ils évoquent par exemple l’article 118 de l’actuelle constitution qui dispose que «l’initiative de la révision de la constitution appartient concurremment au président de la République et aux députés». Selon la Charte de la Transition, le président en place et le Conseil national (CNT) représentent légalement ces deux institutions.

Révision du dispositif institutionnel afin de booster le processus démocratique

Nous serions opposé à ce projet s’il s’agissait (comme du temps de feu IBK) d’adapter seulement notre constitution à l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali (APR) signé en mai et juin 2015. Mais, l’avant-projet soumis à l’appréciation, aux critiques et aux suggestions de l’ensemble des forces vives va au-delà de cette tentation. Certes le projet de révision constitutionnelle vise notamment à mettre en œuvre certains engagements de l’APR, en confiant notamment un rôle accru aux Collectivités territoriales (à l’échelle nationale), mais il revoit aussi sérieusement le dispositif institutionnel et même le type de régime afin de booster le processus démocratique. Tout comme, il reconnaît aux langues nationales du pays un futur statut officiel.

Quant à l’opportunité de doter le pays d’une nouvelle constitution, nous pensons qu’il n’y pas de moment mieux indiqué que pendant cette transition politique. En effet, nous savons tous que, depuis l’avènement de la démocratie, tous les présidents élus ont tenté de réviser la constitution avant d’y renoncer sous la pression des politiciens. On se rappelle ainsi des fortes mobilisations à l’appel de «Antè Abana» sous le régime de feu Ibrahim Boubacar Kéita.

Et rien ne prouve que le prochain président élu aura plus de courage voire plus d’audace ou de soutien politique que Alpha Oumar Konaré, les regrettés Amadou Toumani Touré dit ATT et Ibrahim Boubacar Kéita dit IBK. Et pourtant, nous savons tous que la constitution de 1992 comporte de nombreuses lacunes préjudiciables à la consolidation du processus démocratique.

Il est ainsi surprenant que l’avant-projet ait provoqué l’ire de certains partis politiques alors que l’opportunité a été donnée à toutes les couches socioprofessionnelles de l’amender ou de l’enrichir. La commission de rédaction a par exemple assuré avoir tenu des échanges avec toute la classe politique et tenu compte de leurs préoccupations. Sans compter que, comme l’a récemment rappelé l’Observatoire citoyen sur la gouvernance et la sécurité (OCGS), dans une note (enquête) publiée en fin 2022 avec l’appui financier de la Fondation Friedrich Ebert (FES), «la Constitution n’est pas simplement un compromis entre acteurs politiques» ! C’est aussi «un contrat social et un pacte entre gouvernants et gouvernés».

Aller au bout du processus et se fier à l’arbitrage des urnes

A ce titre, a indiqué l’OCGS, «l’implication des forces politiques est importante, mais le processus doit impérativement tenir compte des autres segments de la société». Malheureusement, l’impression du Malien lambda est que les leaders politiques qui demandent l’abandon du projet ne pensent qu’à leurs propres intérêts comme d’habitude. Ce qui explique la question posée par notre interlocuteur au début de l’article.

Assuré du soutien de la grande majorité de ses concitoyens (entre 72 et 90 % des Maliens lui font confiance selon les sondages), le président Assimi Goïta doit aller jusqu’au bout de ce processus. Et cela nous surprendra qu’il cède au chantage des politiciens et à leur stratégie de la chaise vide parce que ces derniers temps il s’est distingué comme un vrai leader, «un homme de conviction ayant une idée précise de là où il veut ou souhaite amener le pays».

Comme l’écrivait le doyen Sidi Coulibaly dans notre parution de la semaine dernière (SUR LES SENTIERS DU MALI-KURA : Assimi Goïta et la transition ont choisi d’assumer leur destin pour la dignité nationale/Le Matin N°558 du mercredi 11 janvier 2023), le président Goïta a aujourd’hui confirmé qu’il est «un homme qui croit en ce qu’il fait et ne se préoccupe pas trop de ce que les mauvaises langues pourraient en dire dans la mesure où il pense agir pour l’intérêt du pays». Cette nouvelle constitution est l’outil du changement demandé et attendu par les Maliens. Les partis qui souhaitent l’abandon du projet sont libres de faire campagne pour le non au référendum.

Et comme le suggérait si pertinemment Moussa Ag Acharatoumane, leader du Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA) dans une récente déclaration, «en lieu et place des slogans creux, il nous faut une nouvelle forme de gouvernance qui rapproche le gouvernement du gouverné». Il est donc temps de grandir politiquement et de sortir des oppositions systématiques aux réformes.

Nous sommes convaincus que l’élaboration d’une nouvelle constitution est un pas décisif dans le sens de la stabilisation du pays et de l’amélioration de la gouvernance souhaitée par la volonté populaire. Certes, il faut plus d’inclusivité autour des réformes engagées pour concrétiser la refondation de l’Etat. Mais, le dialogue doit se faire aussi dans le strict respect de la volonté populaire.

N’est-ce pas un principe démocratique ?

Naby

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