Lancement du Rapport 2023 de la Banque Mondiale sur : “migrants, réfugiés et sociétés” / Le plaidoyer de Tiébilé Dramé en faveur du développement des foyers d’émigration (Gambie, Mali, Mauritanie, Sénégal…).

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A l’occasion du lancement de ce Rapport, la Banque Mondiale a organisé un débat sur le thème: « Comment la migration peut servir le développement? »

Lors de cet échange modéré par Monsieur Aart Kraay, un haut responsable de la Banque Mondiale, Monsieur Tiébilé Dramé, ancien ministre des Affaires étrangères du Mali et ancien Député a tenu les propos suivants:

Je vous remercie, Monsieur le Modérateur.
Je félicite la Banque Mondiale pour la publication de cet excellent rapport. J’ai déjà eu l’occasion de saluer la position claire et ferme adoptée par la Banque quand la Tunisie a lancé une campagne contre les originaires de l’Afrique au Sud du Sahara. Encore une fois, une fois: Bravo et merci cette prise de position qui donnera à la Banque mondiale et à ce nouveau rapport une légitimité et une place particulière dans le débat international sur la question de la migration. Mais ce rapport ne doit pas seulement servir pour le débat, il doit aussi et surtout servir pour l’action.

Par exemple, j’exhorte la Banque Mondiale à réunir les pays et les régions d’origine des migrants. Dans plusieurs pays, vous avez des régions, des grands bassins d’émigration. Je pense, par exemple, à l’Ouest du Mali, au Nord et à l’Est du Sénégal, au Sud et à l’Est de la Mauritanie, à la Gambie, etc….

Je vous propose de réunir, à travers les frontières,  les acteurs de ces régions, bien entendu, les acteurs gouvernementaux, les acteurs des régions, des acteurs interétatiques comme  la Cedeao, l’Union du Maghreb Arabe, l’Union Africaine, l’Union Européenne, tous ensemble, pour réfléchir concrètement sur comment des mesures concrètes pourraient être prises pour le développement de ces régions-bassins d’émigration. Ce serait la meilleure façon aujourd’hui de servir le développement, aussi la meilleure façon de servir les migrants.

Dans mon pays, le Mali comme dans les autres du Sahel, nous ne nous posons pas la question de savoir si la migration sert le développement. La question devrait être: “comment la migration peut mieux servir le développement ».

Car depuis des décennies, la migration est au service du développement, puisqu’au début elle était une stratégie de survie pour les populations locales, pour les communautés lorsque les jeunes partaient à l’étranger en commençant par l’Afrique de l’ouest, l’Afrique centrale et évidemment l’Europe et maintenant l’Asie d’autres parties du monde comme le Moyen-Orient.

Stratégie de survie au départ, la migration est devenue une stratégie de développement. Si vous visitez certaines contrées du Sahel, la Gambie, le Mali, la Mauritanie, ou le Sénégal, vous verrez que les régions d’origine des migrants sont plus dotées d’infrastructures de base, plus que d’autres parties de ces territoires en raison de l’implication et de l’engagement des migrants. Cela a commencé par la réalisation des réalisations sociales : lieux de cultes, centres de santé, écoles, adduction/ accès à l’eau potable et à l’électricité.
Il est nécessaire de reconnaître que les migrants ont beaucoup accompli dans leurs régions d’origine respectives.

Donc la question devrait donc être aujourd’hui: comment la migration peut servir au mieux le développement.

C’est pourquoi j’exhorte la banque mondiale à prendre des mesures pour rassembler les acteurs tels que les associations de migrants, les acteurs régionaux, les régions, les assemblées régionales et locales, les organisations de solidarité, le secteur privé, les gouvernements et les acteurs internationaux pour engager une réflexion sérieuse sur la manière d’accélérer le développement de ces régions-bassins d’émigration qui disposent, ailleurs, d’importantes potentialités hydro-agricoles et minières.

Nous avons aussi la question de la guerre: lorsque vous parlez du Sahel, vous devez malheureusement mentionner la violence terroriste avec ses conséquences comme le nombre élevé de réfugiés ou de personnes déplacées à l’intérieur des pays.
Il y a donc ici aussi de la place pour quelque chose qui peut être fait par la Banque Mondiale utilisant son influence internationale pour promouvoir la stabilité et la sécurité dans ces régions.

Le Modérateur:
(Mr Aart Kraay est économiste en chef adjoint du Groupe de la Banque mondiale et directeur de la politique de développement à la vice-présidence chargée de l’économie et du développement de la Banque Mondiale):

Merci Tiébilé, permettez-moi de vous rassurer que nous nous ferons de faire de ce rapport non seulement un outil pour le débat mais aussi pour les actions… Nous prenons très, très, très au sérieux remarques …. .. Des mesures seront prises pour maximiser les avantages que les migrants peuvent apporter…..
…………….     ……….   …………….    ……..

Passons à notre troisième sujet de discussion qui est en quelque sorte l’un des plus difficiles du rapport, il s’agit de la discussion de ce que le rapport appelle le mouvement en détresse des personnes à travers les frontières. Cela fait référence à la situation où certains migrants sont si désespérés d’améliorer leur vie qu’ils prennent trop souvent des risques extraordinaires pour traverser les frontières avec des conséquences tragiques pour leur propre vie.

Dans un article publié, il y a quelques temps, vous avez appelé les dirigeants africains à faire plus pour leurs populations qui mettent leur vie en danger en traversant la mer Méditerranée.
Que pensez-vous qu’ils pourraient faire maintenant et comment la communauté internationale peut-elle les soutenir ?

M. Tiébilé Dramé : Merci beaucoup, l’article auquel vous faites référence a été publié dans Jeune Afrique. Il visait à sensibiliser l’Afrique et les Africains, les inciter à prendre leurs responsabilités face à ce qui se passait en Méditerranée. La crise des migrants en mer Méditerranée est avant tout une crise africaine et je pense que l’Afrique devrait prendre l’initiative et le leadership pour donner la bonne réponse à cette question; quand je dis Afrique, je ne parle pas seulement des gouvernements, pas seulement de l’Union Africaine, mais aussi de la société civile, des universitaires, d’autres acteurs ; ils doivent, ensemble, faire quelque chose. Ils doivent être réactifs. Nous ne pouvons pas nous contenter de regarder l’opinion publique européenne, la presse européenne réagissant à la mort de milliers de jeunes Africains qui gisent au fond de la mer Méditerranée.

L’Afrique doit agir car c’est une question vitale pour nous, pour la jeunesse africaine et les Africains doivent être en première ligne sur cette question.

En publiant il y a quelque temps cet article, je voulais vraiment lancer un appel à tous les secteurs des sociétés africaines, non seulement les gouvernements mais aussi l’Union africaine, la société civile, les universitaires et parfois certains individus africains, des personnalités africaines célèbres à travers le monde qui peuvent dire quelque chose au sujet de cette catastrophe, de cette tentative dévastatrice de traverser la méditerranée avec ses conséquences que l’on sait.

Encore une fois, il y a de la place pour faire quelque chose  d’autant plus, que depuis ce qui s’est passé récemment en Tunisie mais aussi en Libye, quelque chose doit être fait.
Je pense que l’Union du Maghreb Arabe devrait être impliquée dans vos prochaines actions avec la CEDEAO, avec l’Union africaine, avant les autres, avec les assemblées régionales, les associations de migrants, tous ensembles, pour avoir une réunion sérieuse pour réfléchir à ce qu’il faut faire, en matière de développement des régions pourvoyeuses de migrants à travers le monde!

Aart Kraay : Merci Tiébilé, je pense que la note sur laquelle vous avez terminée est l’importance de la coopération internationale. Ce sujet est en fait quelque chose qui correspond bien aux deux dernières questions que je voulais poser à Christiane et à Alejandra pour conclure notre discussion.

Traduit de l’anglais par HD.

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