Laïcité : L’esprit et la lettre, une proposition pour le Mali

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La Révolution française, (1789), marque la fin d’une ère politique, celle de la monarchie absolue, dans laquelle tous les pouvoirs de l’État étaient aux mains d’un seul homme ; il s’agissait donc d’une confusion des pouvoirs, le roi les détenant par un droit divin, ce que la population a décidé de changer.

L’ordre politique est fondé sur la seule souveraineté du peuple des citoyens, et l’État-qui ne reconnaît et ne salarie aucun culte-ne régit pas le fonctionnement interne des organisations religieuses. Inscrite dans la Constitution, 157 ans après la Révolution de 1789, soit en 1946, la laïcité constitue aujourd’hui un des fondements de la République française, et repose sur deux principes : l’obligation de l’État de ne pas intervenir dans les convictions de chacun et l’égalité de tous devant la loi, quelle que soit leur religion.

Ainsi, est considéré comme étant laïc le caractère des personnes ou des choses ne faisant pas partie d’une institution religieuse.

Historiquement, il nous apparaît que la laïcité a été la réponse à un besoin majoritairement exprimé par la population qui a exigé à un moment donné, avec l’avènement de la Révolution française de 1789, de retirer à l’église la gestion de l’Etat dont la mission sera de garantir à tous, le choix libre et l’exercice du culte, pendant que l’Eglise sera une institution à part pour s’occuper de religion.

Cependant, à l’expérience, cette notion, de laïcité et de la mission de cet Etat laïc français qui en découle, aura revêtu un contenu conflictuel qui aura été soumis à une constante évolution devant les réalités quotidiennes des populations françaises.

En effet, à l’expérience, tantôt l’Etat laïc français engagera sa mission dans un sens, tantôt, dans un sens totalement opposé, avant de faire un autre pas en arrière quand la population se sera refusé à appliquer certaines dispositions légales.

Ainsi en septembre 2013, pour adoucir le contour conflictuel qu’entraîne cette laïcité, par circulaire du ministre de l’Education nationale, la Charte de la laïcité à l’école (nouvelle fenêtre) est affichée dans tous les établissements scolaires publics pour rappeler les règles du “vivre ensemble” à l’école afin d’avoir une meilleure compréhension de la laïcité.

Ainsi, la laïcité devint un objectif qu’il faudrait rechercher à travers le vivre-ensemble au quotidien.

Il nous apparaît donc clairement, qu’à la différence du Mali qui connait le vivre-ensemble millénaire comme un état permanent de la nature, en France, la laïcité a fini par devenir un objectif recherché à travers le vivre-ensemble qui se trouve, malheureusement, chaque jour plus menacé, que la veille, par un concept de laïcité dont le contenu se cherche désespérément dans des reformulations et contradictions toujours renouvelées.

Il s’agit là d’une situation dont le Mali pourrait tirer la leçon en étant une société caractérisée par ce vivre-ensemble millénaire qu’il pourrait exiger dans la forme de l’Etat qu’il se sera choisi. Par conséquent, ce pays n’aura aucun besoin de s’embarrasser d’un objectif encombrant, en termes de laïcité, qui devient un vocable qui disparaitrait de lui-même comme une mauvaise greffe qui n’avait pas lieu d’être.

Ainsi sans aucun mal, le Vivre-Ensemble peut être substitué à ce vocable de laïcité au contenu indéfini, ramenant ainsi la paix des esprits, momentanément perturbée par une greffe sociale visiblement non acceptée.

Une mauvaise solution à un problème réel

La laïcité déclare garantir la liberté de la pratique religieuse, mais aussi la liberté de la non-pratique religieuse, ainsi, en termes d’engagement, l’Etat proclame : « nul ne peut être contraint au respect de dogmes ou prescriptions religieuses » quand la laïcité est déclarée pour « garantir la liberté de la pratique religieuse, mais aussi la liberté de la non-pratique religieuse ».

En examinant cette absence de contrainte en matière de religion en France, l’individu qui n’a pas de religion ne va jamais se trouver contraint par une quelconque violation des dogmes ou prescriptions religieuses. En revanche, tel ne sera pas le cas pour celui qui observe une pratique religieuse.

Ainsi, la loi, proclamant l’égalité de tous devant elle sans considération aucune de la religion, dans une République également laïque, sera fondamentalement source de conflit avec les dogmes et prescriptions religieuses dans la mesure où il reviendrait à cette loi de fixer les contours raisonnables des religions habituelles, en oubliant, qu’en réalité, il ne saurait y avoir de troisième voie entre la croyance et la mécréance.

Ce faisant le risque est grand, pour que la liberté de culte et de conscience religieuse, bien que proclamée, ne puisse être garantie dans un tel Etat laïc, pendant que d’autres types de collaboration entre l’Etat et les institutions religieuses pourraient donner lieu à une gestion consensuelle de ces dogmes et prescriptions religieuses, ainsi que nous allons l’examiner ci-après.

L’Etat et les institutions religieuses

Il convient de s’interroger pour savoir si l’Etat est forcément laïc. Ainsi : à l’expérience, le Royaume-Uni affirme le caractère religieux de l’État britannique et la liberté de conscience et de culte des citoyens.

L’Etat laïc français est doté de la responsabilité de définir les signes religieux visibles qui sont acceptables et ceux qui ne sont pas acceptables au nom de la Loi, n’est pas de nature à faciliter la liberté de conscience et de culte des citoyens, qu’elle proclame protéger.

En Allemagne, la règle est celle du partenariat entre l’État, les Églises et les communautés religieuses, tandis que la religion est reconnue comme une matière d’enseignement régulière, ce qui prouve qu’en Allemagne, la laïcité est inconnue.

Ces formules allemande et anglaise suggèrent une possibilité claire de collaboration entre l’Etat et les institutions religieuses à la différence de cette centralisation de ces relations et de leur gestion au niveau de l’Etat laïc français, une centralisation qui se transforme en réalité en une relation de soumission des institutions religieuses à l’Etat, ce qui n’est pas sans accrochages parfois violents.

A l’expérience, les dispositions prises en matière de laïcité en France apparaissant en général inapplicables, ont pu être en permanence rejetées par les populations ou encore par l’Etat qui finit par les remplacer par des dispositions exactement contraires, en attendant de faire un autre pas encore en arrière.

Déjà en 1790 la moitié des ecclésiastiques environ refuse de prêter serment sur la Constitution civile du clergé, mise en place la même année. Le 15 juillet 1801, en remettant en cause le régime de séparation des églises et de l’État décidé le 21 février 1795, l’Etat a reconnu le culte catholique, qui, sans être la religion officielle de la France, est la religion de la majorité des Français.

A ce titre, l’État a pris en charge une partie du fonctionnement de l’Eglise par les finances publiques en échange de la renonciation par elle aux biens qu’elle possédait avant la Révolution, contrairement au régime de séparation des églises et de l’État du 21 février 1795 qui avait affirmé le principe du libre exercice des cultes et le rejet de tout financement de salaires, ou de fourniture de local et de tout ministre du culte. La loi sur l’enseignement primaire obligatoire remplace l’éducation morale et religieuse par l’éducation morale et civique le 28 mars 1882.

La séparation des Églises et de l’État est encore amendée le 9 décembre 1905, quand l’État a cessé de reconnaître, salarier et subventionner les cultes. Ce faisant, la loi a prévu la création d’associations cultuelles “pour survenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice public d’un culte”. La propriété des édifices cultuels appartement aux établissements publics du culte mis en place sous le concordat est transférée à ces nouvelles associations cultuelles. Cependant, l’Eglise a refusé de constituer des associations cultuelles comme le prévoit la loi de 1905. Ainsi, le 2 janvier 1907, il y a eu promulgation de la loi concernant l’exercice public des cultes et qui permet d’exercer le culte sur initiative individuelle ou via une association dite mixte ayant des activités cultuelles.

Les cathédrales et les églises catholiques, dont la jouissance n’a pas été réclamée par une association culturelle, deviennent des propriétés publiques dévolues à l’exercice du culte et laissées à la disposition des fidèles et des ministres du culte.

Le 4 octobre 1946, il y a eu inscription à l’article 1er de la Constitution de la IVe République du principe de laïcité : “La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale”.

En octobre 1989, de nouveaux débats sur la laïcité ont lieu ainsi que la réforme des lois de 1905 et de nouvelles terminologies apparaissent dans les débats, notamment l’islam et les sectes.

Ainsi, une polémique qui ne sera pas prête de s’éteindre rapidement s’engage, quand interdiction est faite à trois adolescentes musulmanes du collège de Creil (département de l’Oise) d’assister aux cours si elles continuent à porter un “foulard islamique”.

Ainsi en septembre 2013, par circulaire du ministre de l’Education nationale, la Charte de la laïcité à l’école (nouvelle fenêtre) est publiée pour être affichée dans tous les établissements scolaires publics au même titre que pour rappeler les règles du “vivre ensemble” à l’école afin d’en avoir une meilleure compréhension. Ainsi, la laïcité devint un objectif qu’il faudrait rechercher à travers le vivre-ensemble au quotidien.

Entretemps, les polémiques continuent de s’enfler ainsi que le prouve la suite des évènements datés suivants : 7 octobre 1998, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes est créée et le 3 juillet 2003 : Installation de la commission d’experts, présidée par Bernard Stasi, chargée de réfléchir à la question de la laïcité dans la République.

Le 15 mars 2004, la loi encadre, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics (nouvelle fenêtre

Evolution de la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État afin d’aider à la construction d’édifices religieux dans la mesure où l’islam souffre d’une pénurie de mosquées en France par Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, le 26 octobre 2004.

Mise en place le 20 septembre 2006 de La commission Machelon, chargée de proposer des aménagements à la loi de 1905 séparation des Églises et de l’État, remet son rapport qui propose notamment que les communes puissent financer la construction de lieux de cultes, ainsi qu’un assouplissement du régime juridique des associations cultuelles.

Publication en Septembre 2013  par circulaire du ministre de l’Education nationale de la Charte de la laïcité à l’école (nouvelle fenêtre) qui doit être affichée dans tous les établissements scolaires publics au même titre que : le drapeau tricolore, la devise républicaine “Liberté, égalité, fraternité” et  la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

Elle rappelle les règles du “vivre ensemble” à l’école et vise à aider à une meilleure compréhension de ces règles.

Le 9 décembre 2018, nouvelle adaptation de la loi de 1905 pour l’adapter aux spécificités de la pratique de l’islam, suite au Discours du ministre de l’intérieur, Christophe Castaner ; annonçant la préparation d’une modification.

Le 20 juin 2019 : Rapport du Défenseur des droits consacré au droit à la cantine scolaire. Le Défenseur des droits considère que le principe de laïcité ne s’oppose pas à la pratique des menus de substitution et qu’il convient de porter attention à l’intérêt supérieur de l’enfant et à sa liberté de conscience.

Le 11 décembre 2020 : Décision du Conseil d’État qui rappelle que les menus de substitution dans les cantines scolaires ne sont ni obligatoires, ni interdits.

Le 17 janvier 2021 : Signature par le Conseil français du culte musulman (CFCM) de la “charte des principes de l’islam de France”. Cette charte voulue par le président de la République, Emmanuel Macron, précise l’esprit de l’application de l’islam dans le contexte de la laïcité française. Elle proscrit l’ingérence d’États étrangers et réaffirme en particulier la compatibilité de l’islam avec la République et l’égalité femmes-hommes. Toutefois, certaines fédérations musulmanes refusent de la signer.

Le 4 Juin 2021 : Décret supprimant l’observatoire de la laïcité qui est remplacé par le comité interministériel de la laïcité, présidé par le Premier ministre. Ce comité est chargé de coordonner l’action du gouvernement pour s’assurer du respect et la promotion du principe de laïcité par l’ensemble des administrations publiques.

La laïcité au Mali, un problème qu’il faut bien poser

Il nous apparait clairement que rien ne s’oppose au Mali, à ce que la population exprime sa volonté de se choisir la forme de gestion de l’Etat, qui réponde à la volonté majoritairement exprimée et en toute souveraineté, notamment à travers une consultation dont le résultat délivrera cette forme de la gestion souhaitée par la population du Mali.

Cependant, faudrait-il pouvoir éviter dès le départ, d’avoir à jeter l’enfant avec l’eau du bain. En effet, ce n’est la laïcité qu’il faut rejeter, mais le choix administratif qui en a été fait, en imposant dans la Constitution du Mali la forme française de laïcité, au lieu de laisser à la population malienne de décider de la forme de l’Etat dont elle souhaiterait se doter en toute souveraineté.

Par conséquent, il importe de bien gérer les débats actuels sur la laïcité au Mali. En effet, ces débats devraient comporter une partie d’analyse technique, précédée et suivie de concertations avec les parties prenantes pour adoucir les contours de questions qui seraient de nature à poser naturellement problème, à court ou à moyen termes. Une fois que cette phase est achevée, la mise en œuvre du processus pour l’expression de la volonté populaire pourra se dérouler.

Le Vivre Ensemble millénaire du Mali précède la laïcité à la française

Il n’y a pas de doute que la large majorité de la population s’affiche comme étant musulmane, même si, en la matière, par stratégie, le Mali n’a jamais, depuis l’indépendance à nos jours, mis l’accent sur des statistiques qui pourraient être exploitées à des fins de déstabilisation, comme les statistiques sur les groupes éthiques ou la croyance religieuse, confortant ainsi le sens du vivre-ensemble millénaire dans notre pays.

Par conséquent, il est à espérer que l’immense majorité tolèrerait une décision qui conforte ce sens du vivre ensemble.

En effet, l’Islam, la dernière religion révélée, descendue pour avoir été la plus parfaite et pour ainsi être mise en application, reconnait tous les prophètes de toutes les religions révélées en prônant une coexistence pacifique entre elles, ainsi que cela est proclamé en plusieurs endroits dans les Hadiths et dans le Saint Coran, ainsi nous le rappelle la sourate La vache, qui décrète : « pas de contrainte en religion car le vrai se distingue de l’ivraie » et quand par ailleurs l’Islam pourrait se résumer à quatre idées fortes : Croire en Allah et en Mohamed (psl) son Messager ; Respecter ses  règles ; Respecter ses interdictions ; Faire librement son choix, sachant que promesse divine, qui est vérité, est faite et selon laquelle : le bienfaiteur aura sa récompense auprès du Seigneur, comme le malfaiteur, quand aucun d’eux ne sera lésé.

 

Dr. Lamine Kéita

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