
Il y a deux ans et demi, InfoMigrants avait recueilli le témoignage de Ryad, dont le petit frère avait disparu en mer Méditerranée. Depuis, le jeune homme a mis sa tristesse et son désespoir de côté, pour défendre sa cause auprès du plus grand nombre : les disparus de la route algérienne. Rencontre.
En septembre 2022, Ryad avait partagé sa détresse à InfoMigrants. Un an auparavant, son petit frère Skander avait pris un bateau pour le sud de l’Espagne et n’avait plus jamais donné signe de vie. Depuis, le quotidien de Ryad, qui vivait avec son père à Alger, se résumait à faire le tour des associations et à passer des heures sur Internet pour retrouver la trace de Skander.
« Depuis qu’il est parti, je ne fais jamais de ‘break’. Je le cherche tout le temps, avait-il confié. Ce qu’il me reste à faire aujourd’hui, c’est aller en Espagne, pour voir sur place et parler aux autorités. D’ici, c’est trop compliqué ». Plus de deux ans plus tard, InfoMigrants a retrouvé Ryad à Madrid.
« Cela fait presque un an que je suis en Espagne. Je n’ai pas pris la mer pour venir, je suis arrivé légalement en Europe. J’ai d’abord été en Italie, puis en Suisse et en France. Mais depuis le début, j’avais l’Espagne en tête. Pour moi, c’était là que je devais défendre ma cause : les harragas disparus de la route algérienne. Je suis alors d’abord allé dans le Pays basque où j’ai passé quelques mois. J’ai rencontré de nombreux défenseurs des droits de l’homme. On avait beaucoup de discussions, d’ateliers, j’ai aussi participé à des radios libres. C’était vraiment intéressant et surtout très utile, car je pouvais parler de ce qui me tient à coeur.
Puis j’ai déménagé à Madrid [entre temps, Ryad a obtenu un permis de résidence]. C’est mieux, car dans la capitale j’ai plus facilement accès aux institutions. Hier par exemple, j’ai participé à une rencontre organisée par la ministre de la Jeunesse pour parler du Pacte asile et migration [réforme de la politique européenne d’asile adoptée en avril 2024, ndlr]. J’étais le seul migrant. J’en ai profité pour donner mon avis, mais aussi pour parler des harragas.

Cette route est toujours invisible, malgré le nombre de morts. Et encore, il y a beaucoup de bateaux et de personnes qu’on ne retrouve jamais. Les embarcations utilisées sur cette voie sont en fibre de verre, elles sont très fragiles et donc coulent vite : quand il y a une panne à bord, on ne peut pas dériver et tomber par hasard sur des sauveteurs. Le bateau sombre avant, avec tous les passagers.
D’après l’ONG espagnole Caminando Fronteras, plus de 500 personnes sont mortes en 2024 sur la route migratoire menant de l’Algérie à la péninsule ibérique ou à l’archipel des Baléares. Des chiffres qui font de ce passage en mer Méditerranée la deuxième route la plus meurtrière pour l’Espagne, derrière celle des Canaries.
« Des arnaqueurs, il y en a tout le temps »
Aujourd’hui, mon petit frère, je ne le cherche plus. Je préfère me concentrer sur les familles, et sur mon engagement. Depuis le 8 mars, je suis président de l’association « ¿ Donde estàn ? » [« où sont-ils ? », en français], que l’on a créée avec des amis. Le but, c’est de pouvoir agir pour une identification plus rapide des cadavres retrouvés dans le sud de l’Espagne. On veut aussi accompagner les familles dans leurs recherches. Tous les jours, il y a des mamans, des frères, des cousines, qui m’écrivent pour me demander de les aider.
Il n’y a rien ni personne pour les soutenir. Résultat, beaucoup de gens mal intentionnés profite de leur détresse et de leur solitude. Des arnaqueurs, il y en a tout le temps, des personnes qui vous font croire que votre fils est vivant mais qu’il est enfermé en prison sans téléphone. Les familles des disparus pensent aussi que Frontex a arrêté leurs enfants en mer [l’agence de surveillance des frontières européennes ne procèdent pas à des interceptions en mer Méditerranée, elle opère seulement une surveillance]. Et il arrive que certains profiteurs vous assurent avoir des photos du corps de la personne que vous cherchez, mais qu’il faut payer pour les voir.