
Proclamant « l’indépendance économique » des États-Unis, le président Donald Trump a frappé, mercredi, 185 pays de droits de douane s’échelonnant de 10 % à 50 %. Comme il l’avait annoncé, il a ainsi lancé sa plus vaste offensive tarifaire depuis son retour à la Maison-Blanche.
D’Haïti à Israël en passant par le Royaume-Uni et des petits pays comme le Vanuatu, peu d’États, riches ou pauvres, ont été épargnés par sa médecine tarifaire.
Mes concitoyens américains, c’est le jour de la libération
, a-t-il lancé d’emblée au début de son allocution d’une cinquantaine de minutes prononcée devant des membres de son cabinet, des leaders républicains du Congrès ainsi que plusieurs travailleurs, dont des employés de l’industrie automobile et de l’acier, et des camionneurs.Ce n’est pas la première fois qu’il qualifie ainsi cette offensive tarifaire tous azimuts. Il avait également qualifié la présidentielle du 5 novembre 2024, puis son investiture du 20 janvier 2025, de jour de la libération
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Usant de superlatifs et traçant un portrait sombre des partenaires commerciaux des États-Unis, il a promis un nouvel âge d’or
.
Le 2 avril 2025 restera à jamais dans les mémoires comme le jour de la renaissance de l’industrie américaine. Pendant des décennies, notre pays a été pillé, saccagé, violé et spolié par des nations proches et lointaines.
Sur la ligne de front de la guerre commerciale lancée par Donald Trump, le Canada et le Mexique, les principaux partenaires des États-Unis, ont cette fois-ci échappé aux droits de douane dits « réciproques ».
La Chine et les pays de l’Union européenne, dont les biens représentent ensemble environ le tiers des importations américaines, se voient respectivement imposer des droits de 34 % et de 20 %.
Dans le cas de la Chine, le tout premier pays ciblé par une salve tarifaire, dès février, et cible d’une deuxième un mois plus tard, l’effet cumulatif est colossal : cette nouvelle ronde de droits de douane portera à 54 % les droits de douane qui la visent depuis le début de l’année.
D’autres pays – certains étant d’importants partenaires commerciaux, d’autres non – se voient eux aussi frappés de droits importants. Les taux ont par exemple été fixés à 24 % pour le Japon et à 26 % pour l’Inde, et iront jusqu’à 50 % dans le cas du Lesotho, un pays d’Afrique, 49 % dans celui du Cambodge ou à 46 % dans celui du Vietnam.
Ces mesures sont de nature à bouleverser un ordre mondial façonné par des décennies de libéralisation du commerce, en érigeant des barrières commerciales autour de la principale économie de consommation. Des économistes indépendants ont prévenu que ces mesures pourraient avoir pour effet de ralentir l’économie mondiale.
Les nouveaux tarifs douaniers entreront en vigueur en deux temps : le plancher de 10 % sera imposé le 5 avril, puis les surtaxes sur les exportations des pays les plus pénalisés suivront le 9 avril.
D’autres États, comme la Biélorussie, Cuba, la Corée du Nord et la Russie, ne figurent pas sur la liste des pays ciblés, car ils font l’objet de sanctions américaines qui bloquent déjà tout commerce significatif, a indiqué la Maison-Blanche.
Donald Trump assure que son approche protectionniste ramènera la production manufacturière aux États-Unis en plus de remplir les coffres de l’État.
Plusieurs économistes prévoient cependant que ses politiques tarifaires feront grimper les prix. Ils ont en outre revu à la baisse leurs prévisions sur la croissance économique et révisé à la hausse les risques d’une récession.
Au cours des derniers mois, l’alternance de menaces, de droits de douane imposés et de volte-face a rendu les marchés mondiaux nerveux.
Au lendemain du nouveau décret tarifaire, les bourses asiatiques ont par ailleurs ouvert en baisse.
Entrée en vigueur des tarifs douaniers visant le secteur automobile étranger

Des tarifs de 25 % seront imposés sur les automobiles construites à l’extérieur des États-Unis, à partir du 3 avril.
Photo : La Presse canadienne / Geoff Robins
Donald Trump a par ailleurs confirmé l’imposition de droits de douane sur les pièces automobiles et les voitures fabriquées à l’étranger. Ils ont pris effet après minuit, jeudi.
Le Canada et le Mexique semblent cependant de leur côté bénéficier d’une exemption temporaire en raison de l’imbrication des secteurs automobiles nord-américains, qui compliquent la détermination de ce qui est un produit américain et ce qui ne l’est pas.
Les importateurs d’automobiles assujettis à [l’Accord Canada–États-Unis–Mexique, ou ACEUM] auront la possibilité de certifier leur contenu américain et des systèmes seront créés pour que les droits de douane de 25 % ne s’appliquent qu’à la valeur de leur contenu non américain
, précisait un document d’information de la Maison-Blanche la semaine dernière.
Les pièces automobiles conformes à [l’ACEUM] resteront exemptes de droits de douane jusqu’à ce que le secrétaire au Commerce, en consultation avec le service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (CBP), établisse un processus qui permette d’appliquer des droits de douane à leur contenu non américain
, ajoutait la Maison-Blanche.
Les droits de douane précisés et confirmés mercredi s’inscrivent dans une vaste offensive tarifaire, lancée d’abord contre les trois principaux partenaires commerciaux des États-Unis : Pékin, en février, puis le Canada et le Mexique, en mars. Depuis le début du mois de mars, la majeure partie des exportations canadiennes sont par exemple frappées de tarifs douaniers de 10 % ou 25 %.
Le Sénat inflige un rare camouflet à Trump
Quelques heures après cette nouvelle annonce du président Trump, le Sénat, à majorité républicaine, a adopté de justesse un projet de loi visant à supprimer les droits de douane sur les importations en provenance du Canada, quatre républicains ayant voté en faveur avec les démocrates.
Il est toutefois peu probable que le projet de loi soit adopté par la Chambre des représentants, elle aussi à majorité républicaine.
L’acier et l’aluminium, peu importe le pays d’où ils proviennent, sont visés par des tarifs de 25 % depuis la mi-mars. Selon le New York Times, les droits de douane réciproques ne viendront pas s’ajouter aux tarifs auxquels sont déjà soumis ces deux métaux.
D’autres secteurs, comme le bois d’œuvre, le cuivre, les semiconducteurs et les produits pharmaceutiques devraient être touchés plus tard au cours des prochaines semaines ou des prochains mois.

Donald Trump a annoncé une nouvelle salve de tarifs lors d’une conférence de presse à la Maison-Blanche.
Photo : Associated Press / Evan Vucci
Une riposte est prévisible
En entrevue à CNN, en soirée, le secrétaire au Trésor américain, Scott Bessent, a appelé les autres pays à ne pas répliquer.
Que tout le monde s’assoie, respire profondément. Ne ripostez pas immédiatement
, a-t-il déclaré. Attendons de voir où cela va nous mener. Parce que si vous ripostez, c’est ainsi que nous obtenons une escalade.
On s’attend toutefois à ce que plusieurs partenaires commerciaux des États-Unis annoncent ou imposent des mesures de rétorsion, avec la perspective d’une flambée des prix sur quasiment tous les produits.
La Chine a déjà promis une contre-attaque. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a affirmé que l’Union européenne était prête à répondre aux tarifs douaniers.
Nous sommes déjà en train de finaliser le premier paquet de contre-mesures en réponse aux droits de douane sur l’acier
, a-t-elle déclaré dans un communiqué. Nous nous préparons maintenant à prendre d’autres contre-mesures pour protéger nos intérêts et nos entreprises en cas d’échec des négociations.
D’autres pays semblent cependant vouloir adopter une approche moins combative. Le Japon a par exemple dit vouloir négocier avec les États-Unis, sans mentionner de contre-attaque tarifaire.

Le président américain Donald Trump, dans la roseraie de la Maison-Blanche, hier.
Photo : Reuters / Leah Millis
Une méthodologie rigoureuse ou brouillonne?
Exhibant une large pancarte avec les droits de douane imposés à plusieurs pays, le président américain a assuré adopter une approche gentille
, affirmant, sans détailler les facteurs considérés dans les calculs, que les droits de douane dits réciproques
auraient dû être deux fois plus élevés.
Le décret annonçant les droits de douane « réciproques », qu’il a signé à la mi-février, indiquait que les États-Unis imposeraient à chaque pays des droits de douane équivalents à ceux qu’il lui imposait.
Le document précisait que les États-Unis tiendraient également compte dans ses calculs des barrières non tarifaires jugées injustes, comme les subventions que le pays ciblé accorde à ses industries, les taxes ajoutées sur les produits et services, les réglementations jugées contraignantes ainsi que les politiques de taux de change.
Dans un premier temps, la Maison-Blanche n’a cependant pas fourni les calculs qui ont mené aux taux imposé à chacun des pays.
Un ancien journaliste financier du New Yorker avance toutefois que le taux tarifaire spécifique à chaque pays a été calculé en divisant le déficit commercial qu’accusent les États-Unis avec lui, par les exportations de ce pays vers les États-Unis, puis en le divisant par deux. Une approche qui n’aurait donc rien à voir avec les critères invoqués en février. Cette équation s’appliquerait vraisemblablement aux pays dont les biens se verront imposer des droits de douane supérieurs à 10 %.
La méthodologie alambiquée mise plus tard de l’avant sur le site web du Bureau du représentant au commerce des États-Unis semblait effectivement s’appuyer sur le déficit commercial des États-Unis par rapport à ses partenaires commerciaux.
D’autres signes démontrent une rigueur qui semble approximative. L’administration Trump a par exemple imposé des droits de douane sur les exportations des Îles Heard et McDonald, un territoire près de l’Antarctique qui n’est même pas un pays. Il s’agit d’un territoire extérieur de l’Australie qui, de plus, est inhabité.