L’armée et ses ramifications dans le secteur privé veulent désespérément se présenter comme des gentils luttant contre des forces obscures. Pour y parvenir, ils se tournent de plus en plus vers des univers fantaisistes comme La Guerre des étoiles ou Le Seigneur des anneaux.
L’armée américaine et sa base industrielle ont une riche histoire de recrutement par la propagande et la manipulation. En apportant son soutien à des films comme Top Gun en échange d’un contrôle éditorial, le département de la Défense (DoD) fait en sorte que le service militaire ait l’air aventureux, convivial et vertueux. Et il utilise les dettes et les difficultés des jeunes Américains pour faire passer la carrière militaire pour une bonne décision de vie.
Au cours des dernières décennies, l’armée a trouvé un autre outil de propagande pour attirer les talents technologiques : le fantasme du nerd. [Le nerd est un peu l’équivalent du geek, passionné de gadgets et de nouvelles technologies, leurs films cultes sont cités plus loin, NdT] L’armée et ses homologues du secteur privé utilisent de plus en plus les références à des films comme La Guerre des étoiles et à des livres comme Le Seigneur des anneaux pour blanchir leur image. Les sociétés de surveillance et les sous-traitants militaires Palantir et Anduril sont nommées d’après le Seigneur des Anneaux. Le Defense Digital Service (DDS), une équipe du ministère de la Défense composée d’experts en technologie qui s’attaquent aux problèmes les plus difficiles du ministère de la Défense, s’appelle officieusement « l’Alliance rebelle. »
De nombreux employés de la DDS, dont son premier chef Chris Lynch, ont quitté l’équipe pour fonder la société Rebellion Defense, qui remporte des contrats du ministère de la Défense pour créer une IA [Intelligence artificielle, NdT] destinée à prendre des « décisions sur le champ de bataille ». La société s’est décrite comme « un Projet Maven sans contraintes » – le contrat d’IA militaire que Google a abandonné après les protestations des employés. L’ancien PDG de Google, Eric Schmidt, est membre du conseil d’administration et la société est évaluée à plus d’un milliard de dollars (bien qu’elle ait peut-être du mal à se montrer à la hauteur de ce montant).
En apparence, DDS et Rebellion Defense sont des fans de Star Wars. Ils donnent à chaque équipe, projet, bureau, salle de conférence, contrat et application logicielle le nom d’une référence à Star Wars. Rebellion Defense a une peinture murale représentant des sabres laser dans son bureau, qui serait jonché d’objets de collection Star Wars. Des personnages de Star Wars en costume complet se présentent à leurs événements. « Ce n’est pas un secret que nous sommes un peu obsédés par #StarWars », plaisante le compte DDS sur Twitter.
Mais ce ne sont pas des fans ordinaires. Le ministère de la Défense et ses ramifications dans le secteur privé sont « obsédés » par des mondes fantastiques comme ceux décrits dans Star Wars parce qu’ils servent un objectif propagandiste particulier. Les références à Star Wars permettent au complexe militaro-industriel de se présenter – au public mais surtout à ses propres employés – comme une bande de héros dans une bataille simpliste du Bien contre le Mal.
L’utilisation de la métaphore est un discours politique, a écrit George Orwell, parce qu’elle « anesthésie une partie du cerveau… et est conçue pour que les mensonges paraissent vrais et les meurtres respectables ». Si les militaires et les travailleurs se sentent mal à l’aise avec le travail qu’on leur demande de faire, ils peuvent supprimer cette culpabilité rampante en imaginant que l’impérialisme américain est en fait le côté lumineux de la Force dans un combat contre le côté obscur.
Encore une fois, la stratégie n’est pas nouvelle : l’armée a blanchi son image à travers la culture pop pendant des décennies. Elle a fourni des fonds ou un soutien en nature pour aider à la production de films comme Top Gun, James Bond, Jurassic Park, Black Hawk Down, Iron Man, Wonder Woman et Transformers, à condition que les films présentent l’armée comme une force vaillante de héros combattant des méchants sans ambiguïté.
Mais l’angle de Star Wars et du Seigneur des anneaux est qualitativement différent. Comme cela devrait être évident pour quiconque connaît les histoires, il y a un problème : ils sont du mauvais côté. Luke Skywalker ne se battait pas pour rendre l’Empire maléfique plus efficace, et les membres de l’Alliance rebelle ne s’enrichissaient pas grâce aux guerres intergalactiques. Les outils d’espionnage qui empiètent sur la vie privée créés par Palantir ne sont en fait pas très différents de l’œil omniscient de Sauron, tandis que l’IA militaire d’Anduril et de Rebellion Defense rappelle Skynet dans Terminator.
La franchise elle-même est assez explicite sur ce point. Dans la dernière série Star Wars, Andor, l’Empire extrait des ressources, déplace des populations indigènes, transforme des prisonniers en esclaves et s’associe à des entreprises pour faire du profit. Ces thèmes seront familiers à tout observateur du capitalisme américain et de son État policier. Il est intéressant de noter que la série met également en scène des personnages qui travaillent pour le Côté obscur parce qu’ils considèrent l’Empire comme leur meilleure option pour trouver un emploi, échapper à la misère ou obtenir une justice ordonnée au milieu du chaos. De même, certaines des luttes de la rébellion ne sont que trop familières à la gauche : luttes intestines, choix douloureux et sacrifice de soi pour un « lever de soleil que je sais que je ne verrai jamais. »
Les groupes de technologie militaire veulent désespérément se présenter comme les bons. Sur le site Web de la DDS, l’organisation affirme que ses projets « améliorent la vie des militaires et des civils » et qu’elle « conçoit avec les utilisateurs, pas pour eux ». Il s’agit d’un clin d’œil aux pratiques progressistes de conception centrée sur l’humain qui sont censées inclure les personnes influencées par les produits, mais cela ignore commodément toute personne se trouvant de l’autre côté des armes qu’ils construisent. De même, Rebellion Defense affirme dans ses « principes éthiques » que ses produits d’IA protègent la « démocratie », la « vie privée » et les « valeurs humanitaires ». Elle affirme même que la « technologie bien conçue de Rebellion Defense peut désamorcer les conflits ». (Pendant ce temps, Schmidt, membre du conseil d’administration de Rebellion Defense, a coécrit un livre avec le criminel de guerre Henry Kissinger qui exagère largement à la fois la menace militaire posée par la Chine et le potentiel de l’IA de défense).
En réalité, la technologie militaire ne peut ni prévenir ni désamorcer les conflits. L’armée américaine, son complexe industriel et les politiciens qu’ils financent sont redevables de la croissance afin de fournir aux investisseurs et aux donateurs des campagnes électorales les profits toujours croissants qu’ils attendent. La seule définition du succès pour le capitalisme est la croissance des profits – et dans ce cas, la croissance signifie la guerre. À cette fin, les intérêts militaro-industriels gonflent perpétuellement les menaces dans le monde et déclarent ensuite que la seule solution est l’intervention militaire américaine. La technologie qu’ils construisent n’existe que pour les aider à le faire – elle ne peut pas inverser cette tendance. Seule la démilitarisation le peut.
Comme l’a dit le leader socialiste Eugene V. Debs, « La classe des maîtres a toujours déclaré les guerres ; la classe des sujets a toujours mené les batailles. La classe des maîtres a toujours eu tout à gagner et rien à perdre, tandis que la classe des sujets n’a jamais eu rien à gagner et tout à perdre – surtout leur vie. » Pour promouvoir la désescalade des conflits et les valeurs humanitaires, nous devons poursuivre la démilitarisation et une classe ouvrière organisée grâce à des syndicats forts et des programmes sociaux universels. La « classe des maîtres » et sa machine de guerre profiteuse constituent l’Empire du mal, et il est impossible de le réformer de l’intérieur. Nous devons résister à ses prétentions à l’héroïsme.
L’autrice :
Leah Bannon est une technologue civique, une conceptrice et une membre des Socialistes démocrates d’Amérique à New York.