Transition politique en Afrique : Quand les militaires se donnent la main, il n’y a pas matière à s’inquiéter des politiques

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Aujourd’hui, face à l’adversité, nous assistons à un rapprochement de ces trois États au parcours plus au moins identique, partageant les mêmes défis sécuritaires et ayant les mêmes objectifs à savoir la défense de l’intégrité du territoire national et sa souveraineté, un rapprochement qui à notre avis peut donner raison de s’inquiéter de la part des politiques qui se voient de plus en plus mis à l’écart de la gestion des affaires publiques.

Plus d’une trentaine d’années de démocratie en Afrique, notamment au Mali, au Burkina Faso et en Guinée Conakry, l’échec est patent en matière de gestion démocratique des affaires publiques. La mauvaise gouvernance, la corruption, la délinquance financière, le népotisme et le clientélisme furent les caractéristiques communes qui ont marqué la gestion démocratique des affaires dans ces États. Les préoccupations fondamentales des populations ont été purement et simplement ignorées au profit des intérêts personnels. Nous assistons à une généralisation de la pauvreté et l’enrichissement sans pareil d’une certaine classe politique appartenant à la bourgeoisie.

La crise sociale s’accentua et la fracture sociale s’élargit de jour en jour. La justice mise entre parenthèse, l’impunité est devenue le lot du quotidien des citoyens. Cette situation chaotique entraîna des soulèvements populaires qui vont conduire à l’irruption des militaires sur la scène politique. Du coup, ces trois pays, désormais dirigés par les militaires, se sont trouvés plonger dans une crise politique sans précédent. Comme si cela ne suffisait pas, ils doivent faire face à l’expansion terroriste et djihadiste et les conséquences désastreuses du COVID-19.

À quelques différences près, ces trois pays se retrouvent face à de véritables problèmes existentiels en tant qu’État souverain. Au moment où ils s’attendaient de plus à une aide substantielle de la part de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ce fut plutôt des sanctions irréfléchies et fantaisistes dont ils furent gratifiés de l’organisation sous régionale.

Pour cette dernière, il n’est nullement question de cautionner un coup d’État en apportant un soutien à ceux qui se sont emparés du pouvoir par la force des armes et pour elle, les différentes sanctions imposées, loin d’être une ingérence dans les affaires intérieures de ces États encore moins une quelconque atteinte à leur souveraineté, visent à dissuader ces nouveaux locataires des palais à plier bagages en rendant le pouvoir à des civils démocratiquement choisis par les peuples, cela conformément aux différents textes et conventions qui les régissent et dont ils sont entièrement partie intégrante.

Cette posture de la CEDEAO fut très mal appréciée par les populations qui se sont vites arrangées derrière leurs militaires au pouvoir. Du coup, même si nous ne pouvons dire qu’elle est désavouée totalement, nous nous permettons qu’à même d’affirmer que l’institution sous régionale a perdu en grande partie sa crédibilité aux yeux de nos populations. Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur le rôle de la CEDEAO et son efficacité.

Ce sentiment général se trouve être réaffirmé par le Premier ministre du Burkina Faso, Apollinaire Kyelem, ce jeudi 9 février 2023, lors d’une rencontre avec les ministres des Affaires étrangères du Burkina, du Mali et de la Guinée Conakry, propos rapportés par radio OMEGA et relayés sur les réseaux sociaux, en ces termes: «Je ne sais pas ce que la CEDEAO a fait pour aider le Mali à lutter contre l’insécurité et contre le terrorisme, mais je sais ce qu’elle n’a pas fait au Burkina Faso. Nous avons lutté tout seul. Chaque jour, des Burkinabè tombent, des infrastructures sont dynamitées. Nous n’avons reçu aucune aide de la CEDEAO. De quel droit, la CEDEAO va venir nous dicter notre conduite ? Si elle a été absente pendant tout notre parcours, alors elle doit également rester absente pendant que nous cherchons des solutions à nos problèmes et nous laisser continuer notre chemin».

Aujourd’hui, face à l’adversité, nous assistons à un rapprochement de ces trois États au parcours plus au moins identique, partageant les mêmes défis sécuritaires et ayant les mêmes objectifs à savoir la défense de l’intégrité du territoire national et sa souveraineté, un rapprochement qui à notre avis peut donner raison de s’inquiéter de la part des politiques qui se voient de plus en plus mis à l’écart de la gestion des affaires publiques. En ce sens que le point commun à ces trois (03) pouvoirs est qu’ils soient transitoires.

À rappeler qu’en commun accord avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), il a été fixé un délai maximum de deux ans pour la durée des différentes transitions. Cependant, compte tenu des actes posés par ces militaires au pouvoir, actes de plus en plus appréciés par les différentes populations et qui leur ont valu son soutien indéfectible, et au regard de la perte de crédibilité de l’organisation sous régionale auprès des populations, nous nous permettons de nous interroger sur le respect de délai de ces transitions. Si ces trois (03) régimes militaires se donnent la main au nom d’une certaine lutte contre le terrorisme et au nom du nationalisme panafricaniste, il nous paraît légitime de douter de la sincérité de ces militaires à céder le pouvoir aussi facilement aux hommes politiques au nom d’une prétendue démocratie surtout quand nous savons qu’aujourd’hui que ces politiques soient de plus en plus décriés et accusés des maux dont souffrent les trois pays. Est-ce le retour au régime militaire de fait dans nos États ?

Nous nous permettons de poser ces genres de questions en ce que ces militaires semblent réussir là où ces politiques ont échoué et du coup ont pu gagner et continuent de gagner le cœur de nos populations. Il est évident qu’à l’état actuel, nos populations dans leur grande majorité semblent être favorables pour le règne des militaires même s’ils doivent revenir sous le couvert de civil. De ce fait, même si ces militaires refuseraient la tenue des élections pour un retour au pouvoir civil, il est clair qu’ils ne manqueront pas du soutien de leur population et du coup, quelle marge de manœuvre resteront- ils des mains des politiques pour leur faire plier? Certainement trop peu, en ce sens qu’aujourd’hui, face à l’évidence, les politiques manquent d’arguments pour mobiliser la population contre ces militaires.

Également, ils ne pourront compter sur une pression étrangère, car l’expérience de la CEDEAO sur la Mali a tout simplement montré l’inefficacité de ces pressions sinon au contraire, elle a contribué à renforcer davantage la confiance entre le peuple et ces militaires au pouvoir. Alors, laisseront-ils ou ne laisseront-ils le pouvoir ? Seul le temps nous le dira.

Daouda DOUMBIA

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