Coup d’Etat au Niger : des sanctions qui étouffent et inquiètent la population

Estimated read time 6 min read

«Les sanctions, ça nous a rendus plus forts. On est prêts à labourer la terre avec nos mains s’il le faut pour ne plus dépendre de l’extérieur.» Barbiche grisonnante, sandales et tête haute sous son calot finement brodé, Ibrahim Abdoulaye n’est pas un militant souverainiste. Juste un commerçant nigérien piqué dans son orgueil. Son pays, parmi les plus pauvres du monde, a été lourdement sanctionné par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) quatre jours après le coup d’Etat du 26 juillet.

L’homme marne au pied du pont Kennedy de Niamey où des montagnes de courges ovales jaune-vert colorent la rive sud du fleuve Niger. Il représente l’association des vendeurs de ces «aliments très bons pour les carences en vitamines et pas chers», convoyés par pirogues motorisées. Et un mois et demi après la fermeture des frontières terrestres, son commerce n’est «pas du tout affecté par les sanctions». Sa vie personnelle non plus, prétend-il.

Des stocks de marchandises et d’aliments pas renouvelés

L’inflation ? «Je vis bien.» Les coupures cycliques de courant consécutives à la suspension de la fourniture d’électricité par la société nigériane qui délivrait jusque-là 70% de l’énergie distribuée au Niger ? «J’ai grandi dans un village sans électricité. On est pauvres, on est habitués. Ils n’ont qu’à couper pour cent ans s’ils veulent.» Quant à savoir s’il casse parfois l’embargo – il se susurre qu’une partie des courges débarquées viendraient du Nigeria – Ibrahim Abdoulaye croise les mains : «Ça, c’était avant, en cas de rupture, mais depuis des années, elles sont produites en abondance au Niger.»

A 6 kilomètres de là, au marché de gros de Djémadjé, les produits nigérians garnissent pourtant les stands. Tomates, piments, pommes de terre, choux, oignons. La circulation des cultures maraîchères se joue de la porosité des 1 500 km de frontière entre le Niger et son grand voisin du sud. Dans l’allée centrale de terre ramollie par la pluie, un camion stationne, surchargé de paniers de tomates rondes du Togo. Les allongées sont plus loin, en provenance du Bénin, comme les poivrons et les piments verts. Empilés sur des bâches, il y a aussi des ignames du Ghana. Autant de denrées qui ont traversé la portion du fleuve Niger frontalière avec le Bénin. Ce commerce informel, s’il concurrence le produit star emmailloté dans des sacs de 120 kg, le violet de Galmi (un oignon cultivé dans la basse vallée de la Tarka, croissant fertile dans le sud du Niger, et habituellement exporté en masse en Côte-d’Ivoire), est vital.

La forte demande se heurte au déficit des stocks. Leur niveau est «faible pour les produits locaux et très faible pour les produits importés» en raison de la fermeture des frontières, selon le Système d’information sur les marchés agricoles nigérien. Résultat, une hausse des prix du mil (+10%), du maïs (+14%), du riz local (+15%) dès le mois d’août, et qui perdure en septembre. «Les commerçants ont été mis devant le fait accompli des sanctions inopinées et immédiates. Ils n’ont pas pu renouveler leurs stocks, analyse l’économiste Adamou Louche. Cela risque de se compliquer également pour le versement des salaires des fonctionnaires.» En juillet et août, ils ont été payés «par le biais de l’effort de mobilisation des ressources internes», a déclaré le Premier ministre Lamine Zeine, le 4 septembre. Mais les liquidités manquent cruellement en raison des sanctions de l’Uemoa (suspension des transactions commerciales et financières, gel des avoirs financiers et monétaires de toutes les instances étatiques). Des dégraissages du personnel administratif contractuel sont à l’étude.

Mise en place d’exemptions humanitaires

L’heure est à l’austérité aussi pour Aboubakar Ango, vétérinaire au ministère de l’Elevage. Deux femmes et quatorze enfants comptent sur son salaire. Les coups durs, il connaît. Mais «on n’avait pas mesuré l’ampleur des sanctions». Sous le manguier de la cour de sa maison de Soudouré, en périphérie de Niamey, un tapis et trois chaises accueillent les visiteurs. Une marmite est au feu, une autre suspendue au mur extérieur. L’inquiétude, à deux semaines de la rentrée scolaire, se dit pudiquement. Il est question de «petits sacrifices» pour remplir l’assiette et «réajuster le train de vie», de «solidarités» dans le quartier. Un commerçant qui fait crédit, «le robinet d’eau qui reste ouvert au voisin». Pour remédier aux coupures de courant, il a investi dans un kit solaire, mais pas assez puissant pour brancher un frigo. Les vaccins pour les animaux qu’il soigne périment, alors que de nombreux médicaments ne sont plus disponibles en raison des sanctions. Moue amère : «Qu’est-ce qu’un animal a à voir avec le coup d’Etat ?»

Le secteur de la santé paie un lourd tribut. Plusieurs pharmacies de Niamey sont en rupture d’antidouleurs, d’insuline injectable, de chlorure de sodium et de potassium utilisés dans les hôpitaux. Cet embargo sur les médicaments et les denrées de première nécessité viole le cadre de prévention des conflits de la Cédéao de 2008, selon les plaintes déposées par l’Etat du Niger les 29 et 31 août devant les cours de justice de l’Uemoa et de la Cédéao. Autres illégalités pointées : le non-respect du délai d’entrée en vigueur des sanctions, en principe soixante jours après leur publication au journal officiel, la fermeture des frontières terrestres qui ne figure pas dans la liste des sanctions prévues dans les textes communautaires, au même titre que la suspension de la fourniture d’énergie ou l’extension des gels des avoirs ou des interdictions de voyager aux familles des auteurs du coup d’Etat. La liste est longue. Comme si ces mesures avaient été édictées dans la précipitation.

A la demande de l’ONU, la Cédéao aurait consenti à la mise en place d’exemptions humanitaires. Le Bénin, où le Programme alimentaire mondial (PAM) compte à lui seul 32 camions (dont 10 destinés à Dori au Burkina Faso) bloqués à la frontière nigérienne, aurait approuvé cette mesure dans un premier temps. Mais à ce jour, les cargaisons contenant surtout des produits nutritionnels demeurent bloquées. Or, plus de 4,3 millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire. Selon le PAM, 90 000 enfants courent le risque de tomber dans une situation de malnutrition sévère ces prochains jours faute de ravitaillement et d’activités de prise en charge. Médecins sans frontières a appelé de son côté à «rapidement rompre avec toute logique de punition collective»

Sur le même sujet

+ There are no comments

Add yours